Au commencement, il y avait tout simplement… la Terre. Oui, mais pas celle que l’on connaît aujourd’hui. Le sens du mot a évolué au fil des modifications naturelles qu’elle a connu : sous l’influence de la tectonique des plaques, ce qui était la « pangée » s’est progressivement séparé pour créer les continents que l’on connaît aujourd’hui. Le même phénomène a engendré les montagnes, volcans et autres reliefs que l’on observe aujourd’hui, et qui représentent autant de frontières naturelles entre les territoires. Ce mouvement perpétuel fait évoluer nos paysages autant qu’il peut contribuer à nous éloigner : toutes ces séparations finissent par aboutir à des spécificités régionales qui limitent la compréhension mutuelle, que ce soit pour des raisons de culture ou de langue… alors même que nous restons tous des hommes, en définitive, et ce peu importe notre couleur, nos croyances ou nos coutumes. Certains ont voulu donner à ce mot d' »homme » plusieurs significations, comme si certains l’étaient moins que d’autres. Peu importe ce que nous faisons, nous ne devons jamais oublier le fait que c’est la nature, les fondamentaux, qui doivent nous permettre de créer les définitions que nous mettons derrière les mots. Les autres dérives sont aussi peu souhaitables qu’elles peuvent être dangereuses à long terme.

On le voit bien pour les termes qui régissent le secteur d’activité dans lequel nous évoluons ici. Il y a un peu moins de trois ans, j’écrivais sur ce blog un billet tentant de définir ce qu’était alors, selon moi, un Artisan Boulanger. Si les grandes lignes de ma réflexion de l’époque sont encore tout à fait valables aujourd’hui, je pense qu’elle était en définitive incomplète. J’avais omis d’associer au métier le lieu de vente singulier où l’artisan propose généralement ses produits : une Boulangerie. Quand on voit comment cette dernière a été malmenée, il m’apparait important que nous nous questionnons sérieusement sur ce qu’est cette boutique, ce commerce si profondément ancré dans notre paysage français… car en définitive, plus que la culture du pain qui s’est répandue sur le globe, c’est avant tout ce dernier qui est resté singulier dans nos territoires. Que ce soit en terme de forme ou de nombre, l’exception culturelle si chère à notre pays s’est pleinement exprimée.

Si Ten Belles Bread ne coche pas la plupart des cases correspondant à la boulangerie traditionnelle, on y retrouve pourtant d’excellents pains au levain naturel. C’est l’expression de la volonté d’Alice Quillet, qui souhaitait développer ici un produit qu’elle avait pu approcher par le passé sans pouvoir l’approfondir. Au fil du temps, les recettes se sont affinées et affirmées, ce qui a séduit autant des restaurateurs (plus qu’une quarantaine de tables livrées) qu’une clientèle fidèle. On retrouve une conception très anglo-saxonne de la boulangerie, où des lieux hybrides respectant les produits issus de la panification et de la torréfaction se sont considérablement développés ces dernières années, dépoussiérant l’image du pain blanc que l’on pouvait avoir outre-Manche. Est-ce une Boulangerie ? Même si ce n’est marqué nulle part, pour moi oui, assurément.

C’est sans doute un peu moins vrai aujourd’hui, car de nombreux entrepreneurs ont intégré des inspirations venues de l’étranger pour concevoir leurs projets. Sans doute était-ce nécessaire pour renouveler le métier et lui permettre d’exister. Cependant, dans cette boulangerie plurielle, nous avons perdu nos repères et certains en ont profité pour brouiller les cartes à leur avantage. Le mot et sa définition ont glissé, aidés par des consultants, agenceurs et spécialistes des relations publiques aux intérêts souvent uniquement économiques.

La « boulangerie créative » BO&MIE a beaucoup fait parler d’elle, mais peu pour son pain : n’est-ce pourtant pas l’essentiel quand il s’agit d’une boulangerie ? On notera d’ailleurs que son fondateur n’en parle quasiment jamais, et est plus enclin à développer une vision du métier où il faudrait nécessairement avoir une grosse taille pour fabriquer maison et faire de la qualité (?!) qu’à soigner ses fondamentaux. La volonté affichée dès le début de multiplier les points de vente en témoigne. Une deuxième affaire ouvrira en juin avec le même positionnement : un large espace se voulant « lieu de vie ». C’est bien mais ce serait mieux s’il était habité par un état d’esprit en raccord avec l’ADN du métier. En attendant, cela ressemble plus à un point de restauration où l’on vend sandwiches, salades, pâtisseries et viennoiseries.

Une Boulangerie est un lieu accessible et « inclusif »

Si l’on reprend les tendances développées ces dix dernières années, on peut retenir celle aboutissant à des boutiques inspirées de bijouteries ou autres boutiques « de luxe », avec beaucoup d’éléments brillants et/ou plastiques. Cette volonté d’orienter le métier vers une image « haut de gamme » ne trouve aucun fondement dans ses caractéristiques naturelles, ni dans les produits qu’il réalise. Cela a souvent servi à satisfaire l’égo d’artisans, qui trouvaient là un moyen d’affirmer leur réussite autant qu’une volonté de s’élever de la masse dans laquelle ils évoluaient. Dans certains cas, la clientèle locale est également sensible à ce type de question, et le fait d’avoir une boutique affichant ce décor feutré peut contribuer à la réussite économique de l’affaire, en augmentant artificiellement la valeur ressentie des produits. Seulement, ces cas restent anecdotiques et l’effet est aussi fragile que potentiellement éphémère.
Même si la boulangerie peut se vanter de se rapprocher des métiers du luxe par le savoir-faire mis en oeuvre, il ne faudrait pas oublier que sa vocation reste de nourrir les individus au quotidien, sans distinction de moyens ou de catégorie sociale. Par ces effets d’image, une partie de la clientèle se détourne de l’offre artisanale car elle ne se retrouve pas dans ce positionnement : qui a envie de se sentir mal à l’aise en allant acheter une baguette ?

Lumineuse, accueillante et baignée d’une identité forte, la Petite Boulangerie de Franck Dépériers à Nantes est un bon exemple de boulangerie exigeante sur les produits (locaux et Bio pour certains) sans avoir dérivé vers un positionnement « haut de gamme ».

Nous devons avoir à coeur de redonner aux Boulangeries cette image de commerces accueillants et « inclusifs » : cela n’exclut pas une forme de modernité, bien nécessaire pour rassurer les consommateurs en terme d’hygiène et pour s’inscrire dans le paysage commercial, mais l’ADN du métier doit être respecté pour rester cohérents et défendre une image à la fois pertinente et différenciante du métier. Ce dernier élément est essentiel : plutôt que de se fondre dans le paysage, je suis persuadé que la profession doit conserver ses spécificités, qui lui ont permis de survivre au temps et aux modes. La notion de lien social entretenue chez les artisans boulangers est fondamentale : ce commerce doit rester un « refuge » où chacun peut se retrouver, partager quelques mots et des gourmandises.
Cette idée est mise à mal par les dérives tarifaires que l’on connaît bien en région parisienne : quand certains pains dépassent allègrement les 15 euros/kg ou certaines viennoiseries se négocient à 6 euros la pièce individuelle, on peut se dire que l’on a quitté le terrain de l’alimentation quotidienne. Sans négliger de calculer les coûts de revient, l’artisan doit continuer à proposer des gourmandises accessibles, ce qui à mon sens fait partie de l’ADN d’une boulangerie. Cela nous renvoie à la nécessité de penser son projet en amont pour éviter de générer des charges et investissements qui se retrouveront forcément dans la gamme et les prix de vente : alors que la tendance est d’aller vers « toujours plus », ne devrait-on pas retourner à des choses simples, rationnelles et permettant en définitive de ne pas perdre son âme en route ?

Dans ces « boutiques-atelier » telles que l’Atelier Létanduère de Kaori Onishi à Angers, les gammes sont plus courtes, rationnelles et la relation entre les produits, l’artisans et la clientèle plus évidente.

Une Boulangerie doit raconter l’histoire d’un artisan et ses engagements

Justement, ce refuge a été bien mis à mal par la conceptualisation marquée des boutiques : aujourd’hui, il ne suffit plus d’ouvrir une Boulangerie, il faut trouver un positionnement qui la rende foncièrement différente des autres… sans qu’il soit question de la sincérité de ces « artisans » qui n’en sont plus, pour la plupart, car ils ne mettent même pas la main à la pâte. Je ne vous cache pas que je suis assez interloqué quand je vois leurs initiatives reprises dans des grands médias nationaux, souvent accompagnées de qualificatifs grandiloquents : « la boulangerie nouvelle génération », « une boulangerie qui casse les codes », « un artisan qui dépoussière le métier »…
Au delà de ces belles images, quand on cherche à comprendre l’intention initiale des entrepreneurs derrières ces projets, le constat est plutôt attristant : le sujet principal est le business, sans considérer les éléments fondamentaux du métier que sont les paramètres humains ou de savoir-faire. Ils sont mis au service d’une entreprise somme toute très « froide » et centrée sur une logique économique et/ou marketing, alors que le chemin devrait être pris à l’envers : c’est en construisant une boulangerie qui a du sens pour ceux qui la font et ceux qui y consomment que l’on réussit durablement.

  • The French Bastards, une boutique ouverte en début d’année par trois associés (dont un pâtissier et deux fraiches reconversions), s’est faite remarquer dès le début par son positionnement qui se veut résolument tendance ainsi que le ciblage opéré sur les « influenceurs » : campagne de relation publiques (avec agence s’il vous plaît), produits très visuels et en vogue (babka, éclair coloré au charbon)… Tout cela pose question vis à vis de la sincérité de la démarche : ces entrepreneurs ont-ils vraiment envie de s’inscrire durablement dans le métier, qui reste inscrit dans le quotidien en dehors de tout effet de communication ?
  • Quelques lettres lumineuses que l’on a vu en boucle sur Instagram : tout a été pensé pour générer du buzz.

Cette évolution est très visible à Paris, sans doute moins dans le reste de la France, mais la contagion peut aller très vite. Elle aboutit à rendre inintéressantes des affaires pourtant rentables et bien tenues aux yeux de porteurs de projets disposant d’un apport suffisant pour les reprendre : du fait de leur emplacement, de leur configuration ou de leur superficie, elles ne correspondent plus aux « standards » recherchés par de nombreux acquéreurs aux apports financiers conséquents : pas de place assise, difficultés à développer le snacking, petit magasin… les raisons sont nombreuses et traduisent bien le glissement opéré. Il ne s’agit plus de vendre du pain et des gourmandises boulangères, qui nécessitent beaucoup de savoir-faire et génèrent en définitive trop peu de chiffre aux yeux de ces « artisans »… en plus de générer infiniment moins de buzz sur les réseaux sociaux.
Cela se traduit souvent dans la configuration de la boutique : on remarque le peu de place laissé au pain, et des caractéristiques qui ne trompent pas sur le manque de soin qui lui est porté : mies denses, croûtes ternes, arômes faibles, en bref des produits bien peu heureux pour des clients qui le seront tout autant.

Chez BO&MIE, les viennoiseries sont devenues un outil de communication majeur : avec leur visuel élaboré, elles séduisent les réseaux sociaux et consommateurs. Cela parvient à occulter une gamme de pains négligée, à la fois peu visible et largement sous-hydratée, comme si cette dernière n’avait pas vraiment sa place ici. Sans commenter la démarche, on peut cependant se poser des questions sur la durabilité de la chose : le savoir-faire lié à ces produits reposant sur un salarié et non sur l' »artisan » propriétaire du lieu, la gamme est appelée à changer considérablement au gré des mouvements naturels du personnel. A mon sens, une boulangerie se définit par un fil conducteur créé par l’artisan, qui affirme sa vision du produit, du goût et la partage avec sa clientèle. Malheureusement, on est bien souvent loin du compte avec ce type de reconversion rapide.

Dès lors, je pense qu’il devient urgent d’inverser la tendance et ne plus chercher à faire toujours plus clinquant mais plutôt chercher à raconter une histoire sincère, engagée et respectueuse du métier d’artisan boulanger. Cela passe par une réflexion portée dès les prémices de la création d’entreprise : peu importe la forme que prendra le commerce en définitive, car il ne faut pas avoir d’idée arrêtée sur ce sujet, c’est une certaine idée du pain et plus globalement de l’alimentation que l’on doit véhiculer, avec un projet bien dimensionné en terme d’investissements afin de le mettre au service du produit… et non l’inverse. C’est tout cela que j’incite chaque porteur de projet à faire son chemin dans le métier avec beaucoup d’humilité pour développer à la fois leurs aptitudes professionnelles, leur organisation mais aussi leur culture du produit et de la panification. Plutôt que d’orienter son regard uniquement vers des professionnels aux valeurs et procédés compatibles avec ses propres aspirations, il faut s’ouvrir à toutes les façons de concevoir la boulangerie pour en saisir des éléments qui, assemblés, permettront de créer une identité singulière.

Dans le domaine des « boulangeries traditionnelles », l’Essentiel a su garder une place prépondérante pour le pain et les gourmandises boulangères, malgré le développement de l’entreprise (avec aujourd’hui 4 adresses parisiennes). Cela se remarque autant par la place donnée dans les boutiques à ces produits -ils sont très largement visibles- qu’à leur qualité. Le couple Bosson a ainsi fédéré autour de lieu des équipes et une clientèle fidèles, portés par la transmission d’un savoir-faire riche.

Une Boulangerie est un lieu de création et de diversité

Nous avons trop longtemps considéré la boulangerie comme un métier centré uniquement sur la labeur. Or, il n’est durable que s’il touche autant les mains que la tête. Au delà du manque criant de vision et de perspectives au sein des formations professionnelles, le développement des réseaux de boulangeries associé à la l’apparition des pré-mixes a contribué à transformer les artisans en simples ouvriers, dépossédés de la capacité à mener leur propre affaire selon leurs volontés voire même de tout savoir-faire lié à la panification. L’offre industrielle en pâtisserie et viennoiserie n’ont fait que renforcer le phénomène : beaucoup ne se contentent plus que d’ouvrir des cartons et mélanger un peu d’eau avec de curieuses préparations additivées dans leur pétrin.

Si des groupements comme Banette ont toujours capitalisé sur le fait que leurs membres pouvaient mettre en avant l’appellation « boulangerie » ainsi que le caractère indépendant de chaque artisan, il me semble que ces enseignes ne permettent plus de définir ce que doivent être des boulangeries aujourd’hui, à savoir des boutiques défendant chacune sa propre identité et ses produits, ce qui permet ainsi de créer un lien singulier avec sa clientèle.

Ces produits et concepts standardisés ont fortement développé l’uniformité dans un métier où les professionnels possédaient jadis chacun leurs recettes et leurs tours de mains. L’enjeu est aujourd’hui de parvenir à réintroduire cette idée de création et de diversité. On a pu observer ces derniers mois l’apparition de programmes de formation chez de nombreux meuniers ou groupements : chacun y va de son « école » (Ecole de Boulangerie Artisanale chez Festival des Pains ou l’Ecole des Moulins Viron), « académie » (l’Académie des Moulins Familiaux, qui regroupe les Moulins de Chars, Chérisy, Brasseuil et Paul Dupuis), de ses « stages » (les Stages Bourgeois), l’Atelier M’Alice (créé par la Minoterie Girardeau) se déploie maintenant sur trois sites (Boussay, Itteville et Ernée) en plus de réaliser des stages pour le compte d’autres meuniers (Minoterie Mignot ou Maury), les moulins affiliés à l’association des Petits Moulins de France a développé ses services avec l’INBP, … même si d’autres ont toujours capitalisé sur cet accompagnement, à l’image de Foricher.

En plein centre de Toulouse, la boulangerie chez Georgette surprend par son format miniature, aussi bien en terme de devanture que d’espace de vente. Au vu de la charge foncière qui pèse sur les artisans dans les centres ville de grandes agglomérations, le choix paraît assez pertinent et montre que le ‘modèle’ des boutiques tentaculaires, qui ressemblent plus à des épiceries ou à des restaurants, n’est pas une fatalité, malgré ce qu’en disent des armées de consultants.

Même si l’on ne peut que saluer toute initiative visant à transmettre du savoir, je pense qu’il reste beaucoup à faire pour armer correctement les artisans dans un contexte concurrentiel particulièrement agressif. D’une part car il ne s’agit pas uniquement de fournir des recettes et quelques tours de mains ou de réaliser des produits qui ne seront jamais repris en boutique car peu adaptés à une fabrication quotidienne, d’autre part car ces formations ont tendance à s’orienter dangereusement vers des publics non issus d’un cursus en boulangerie (comme je l’avais noté précédemment).
Plutôt que se disperser et consommer des ressources de façon inutile, il me paraîtrait plus pertinent de chercher à transmettre une vision de marché pertinente et cohérente aux professionnels déjà installés, avec l’idée que cela puisse infuser sur les jeunes en formation chez ces mêmes artisans. Cela passe par une meilleure lecture des attentes des consommateurs, notamment en terme de nutrition ou de sélection des matières premières, sur la construction d’une gamme rationnelle et adaptée en fonction du projet et de l’identité du boulanger, ainsi qu’une réelle volonté de redonner du sens au métier en l’inscrivant mieux dans la communauté qui l’entoure (ce qui signifie notamment re-créer des liens avec des producteurs mais aussi avec sa clientèle, au delà de la simple relation de vente). Plus que jamais, une Boulangerie doit être un élément fort du lien social mais aussi un trait d’union entre les métiers de la terre, qui produisent les matières transformées au fournil.
Il faut également lui donner des clés pour construire une démarche intellectuelle vertueuse, étendue de la fourche au fournil, où le travail des mains n’est plus le seul valorisé : chaque artisan peut être pleinement moteur de la vie de son entreprise s’il se détache des solutions pré-conçues, marques et autres concepts, et c’est ce qui lui permettra de mieux s’adapter à son contexte local ainsi qu’aux futures évolutions du marché.

Les enseignes qui reposent sur des mécanismes de promotion permanente et des efforts marketing s’éloignent considérablement de ce que doit être une boulangerie, et se construisent sur un mode de consommation appelé à disparaître : on ne parle que de prix et de volume, alors que le vrai sujet est de savoir comment, avec quoi et par qui les produits ont été réalisés. La grande distribution a bien compris l’enjeu et a commencé à prendre le virage (développement du Bio, valorisation des producteurs locaux…) alors que les boulangeries peinent encore à s’y mettre.

En définitive, une Boulangerie se définit avant tout par des valeurs, un projet et une intention portée sur le métier

Le temps où l’on définissait une boulangerie par son offre, son format ou ses horaires d’ouverture est aujourd’hui dépassé. Dans un métier qui n’a jamais été aussi pluriel, le dénominateur commun entre de « véritables » artisans se trouvera sur le terrain des valeurs et d’un projet destiné à créer de la valeur durablement au service du savoir-faire propre au métier, des hommes et femmes qui le perpétuent chaque jour pour nourrir sainement une clientèle. Le problème est que nous évoluons dans un monde de communication et de faux-semblants : combien d’entrepreneurs se parent aujourd’hui d’une vertu factice ?

Le storytelling appliqué : un exemple chez la P’tite Boulangerie où les fondateurs ont beaucoup rêvé avant de créer un réseau noyé dans des supérettes, avec pour « boulangeries » des cabanes de pêcheur.

Dès lors, il faut chercher à lire entre les lignes, capter les signaux faibles qui distinguent les engagements sincères des postures. Un des meilleurs indicateurs reste sans doute la sobriété dans la conception de la boutique (les boulangeries où le pain est marginalisé pour devenir complètement invisible en disent long sur la réelle nature du commerce !) et la présentation des engagements ou méthodes de fabrication : il y a des questions à se poser en présence de références marquées à la tradition, au savoir-faire ancestral, à nos chères grand-mères ou encore face à une séance de name-dropping destinée à prouver un sourcing « rigoureux ». C’est aussi le cas quand le professionnel cherche à cocher toutes les cases des tendances : produits au visuel conçu pour faire du buzz sur les réseaux sociaux, mise en oeuvre des ingrédients et saveurs en vogue (exotiques comme le Yuzu ou le thé matcha, graines aux vertus tant vantées comme le Chia…) avec souvent peu de cohérence et avec des dosages discutables, adoption de codes issus d’autres métiers de façon pas ou peu pertinente, etc.

Certains produits sont vus et revus sur les réseaux sociaux, à l’image de la fameuse Babka, ici reprise chez Mamiche. Si le produit n’est pas mauvais en soi, il traduit plus une démarche visant à construire une stratégie marketing différenciante que d’une volonté de créer sa propre identité singulière.

Bien sûr, il faut goûter et chercher avant tout à connaître les produits : le « fait maison » reste indispensable pour définir ce qu’est une boulangerie artisanale, mais il dit en définitive assez peu de choses sur la qualité des matières premières et le soin pris à les transformer. Ce sont les recettes et procédés qui font la différence : travail sur levain naturel, longues fermentations, pâtes fortement hydratées, sélection de producteurs locaux, respect des saisons… autant d’éléments qui font parler pains et gourmandises mieux que tout discours marketing. Une Boulangerie doit développer un fort savoir-faire sur ces produits et éléments fondamentaux : si le pain, la viennoiserie et la pâtisserie boulangère sont négligés, une erreur fondamentale est commise.

Thierry Marx rêvait de développer des boulangeries à son nom, rappelant à l’envie son enfance bercée par l’image de la boulangerie Ganachaud de la rue de Ménilmontant. S’il serait difficile de mettre en défaut la qualité du pain et des gourmandises boulangères élaborées par le MOF Joël Defives et ses équipes, d’autres points interpellent : l’aménagement des points de vente (avec toujours ces fameux scooters repris en référence à… on ne sait quoi ?), l’hybridation marquée entre la boulangerie et la restauration -le second métier finit par prendre le pas sur le premier, avec notamment l’importance de ces fameuses plaques « teppan » comme celle représentée sur l’image- et le plan de marche avancé par l’enseigne (plus de 20 boutiques en France, financées par le fonds d’investissement FrenchFoodCapital)…

Mis bout à bout, ces éléments doivent traduire une démarche sincère de partage, qui se place avant toute notion de réussite économique. Si cette dernière est indispensable pour la vie normale de l’entreprise, on doit la voir comme la résultante d’un effort permanent visant à satisfaire sa clientèle locale (et non quelques influenceurs appâtés par de la nourriture offerte) ainsi que ses salariés. Ces valeurs manquent encore à beaucoup d’artisans, et plus encore à de fraiches reconversions professionnelles, qui trouvent pour certaines dans la boulangerie un curieux passe temps. En les réintroduisant, on parviendra à redonner du sens au mot Boulangerie… et à toute la filière. A chacun de se saisir de ses responsabilités.

  • Installée dans le MyAuchan de la place du Marché Saint Honoré, la P’tite Boulangerie est équipée d’un simple four de magasin Wiesheu, d’une Manotrad (diviseuse-formeuse manuelle de chez Sinmag) et d’un petit pétrin. Difficile d’imaginer que tous les produits sont fabriqués sur place (notamment la viennoiserie et la pâtisserie). En plus d’être dilué dans un curieux montage (où Auchan conserve un tiers des parts), l’artisan est dépendant de l’enseigne et ne fera que la servir. Est-ce ça une « boulangerie différente » ? Est-ce ça une boulangerie, tout simplement ?
  • Une cabane de pêcheur
  • Une partie de l’offre de la P’tite Boulangerie adossée à MyAuchan est pré-emballée et vendue dans des vitrines en libre-service. En reprenant quasi intégralement les codes de la boulangerie « classique » proposée en GMS, le discours artisanal est-il vraiment lisible ?
  • Derrière son atypique devanture jaune canari, la jeune Boulangerie Perséphone se défend avec sincérité sur le pari osé d’une création avec une petite surface de vente et de production. Christel Régis a du s’adapter ses premiers mois d’activité, en se recentrant sur ses fondamentaux en pains, viennoiserie et pâtisserie boulangère pour mieux maîtriser sa masse salariale, la qualité de ses produits et prendre du plaisir au quotidien dans la production qu’elle réalise pour ses clients.
  • L’étonnant Pain Brut à Montpellier : un lieu hybride où se mélangent pains au levain naturel (à base de farines locales, dont certaines livrées par le paysan-meunier Michel-Carol Patin), petite restauration et… cours de yoga, ainsi que des soirées à thème. L’entrepreneur s’est formé à l’Ecole Internationale de Boulangerie de Noyers sur Jabron et y a acquis un certain savoir-faire en terme de panification au levain naturel, ce qui lui permet de proposer une gamme qualitative et ainsi donner à sa boutique un réel caractère boulanger, en dehors de toute considération conceptuelle.
  • Malgré la diversité des activités développées chez Pain Brut, le pain y est justement bien visible et présent, comme en témoigne le large mur à pains. Cela rend le discours plus lisible auprès du consommateur : on sait pourquoi on vient ici.
  • Ils s’appellent Archibald, Le Bricheton, Fournil Ephémère, ou des dizaines d’autres à travers la France et ont choisi de n’ouvrir que sur des plages horaires restreintes, souvent en fin d’après-midi ou quelques jours dans la semaine. Confort de vie, méthode de panification en direct, volonté délibérée de limiter la production… les raisons sont aussi nombreuses qu’elles peuvent paraître justifiées quand on sait l’image dégradée que peut avoir le métier. Sans pour autant prétendre que ce format deviendra demain dominant ou à opposer deux mondes qui doivent co-exister, ces lieux méritent bien l’appellation boulangerie car ils cultivent un vrai respect pour le produit et offrent à leur clientèle une proposition singulière.
  • Je me demande parfois si les gens changent vraiment ou s’ils ne font que changer d’habits pour se fondre dans un nouveau paysage. L’exemple de nombreuses reconversions est assez parlant : plutôt que de mettre les mains à la pâte et s’inscrire dans la réalité du métier, beaucoup ne font que… refaire ce qu’ils faisaient avant, à savoir produire du marketing, gérer des projets et des équipes, … Est-ce une façon durable de mener une entreprise de boulangerie ? Est-ce que l’on créé vraiment une boulangerie en agissant ainsi, ou bien se cantonne-t-on à reproduire des recettes sur lesquelles on ne possède ni prise ni maîtrise, au risque de se brûler les ailes du fait du rapport de hiérarchie inversé avec ses salariés ? Il me semble important de commencer à gratter la peinture de ces projets basés sur des chaises à trois pieds… à moins que le temps et leur développement prématuré (avec une deuxième boutique pour l’été chez Mamiche, notamment) ne fasse son oeuvre.

La vie est un formidable jeu de probabilités. Comme si, chaque jour, nous oeuvrions comme d’ingénieux mathématiciens, écrivant sans relâche des équations aux multiples inconnues. Quand un ensemble de conditions se réalise, cela peut donner lieu à des créations surprenantes, qui nous rappellent la beauté de la nature. Nous cherchons trop souvent à tout contrôler, à maîtriser l’imprévu, à limiter les risques… autant d’efforts aussi vains que contre-productifs lorsqu’on observe notre incapacité chronique à créer des harmonies, l’action humaine se résumant plutôt à des enchainements de déséquilibres. On finit parfois se dire que le mieux à faire serait de rester simplement à observer la beauté naturelle, sans chercher à y intervenir… mais ce serait aussi renoncer à notre puissante volonté de conquête et de possession.

Cette jolie boutique d’angle compte parmi les meilleurs emplacements de la ville : située sur l’axe de plus passant, elle bénéficie d’une excellente visibilité. Le titre de Champion du Monde est mis en avant sur le store et a sans doute participé à leur excellent démarrage : la presse locale n’a pas manqué de faire l’écho de cette installation.
A l’étage, on aperçoit le laboratoire de pâtisserie baigné par la lumière naturelle.

S’il y a bien quelque chose que les cadurciens vont avoir le loisir d’observer, c’est le talent et le savoir-faire des frères Beziat. Installés depuis fin novembre 2018, les deux jumeaux signent sur l’avenue la plus passante de la cité un véritable retour aux sources – leurs parents possèdent une boulangerie dans la commune de Gramat. Je parlais en introduction de probabilités : on pourrait calculer celles aboutissant à ce résultat singulier, où chacun a développé dans sa discipline un talent riche et créatif, leur permettant de devenir des professionnels accomplis et aptes à entreprendre à seulement… 24 ans. Cédric s’est ainsi emparé des clés de la panification dès son plus jeune âge. Meilleur Apprenti de France en 2011, il a notamment été formé au sein de la boulangerie nantaise Pain, Beurre et Chocolat avant de partager ces dernières années son savoir-faire en tant que démonstrateur pour l’Atelier M’Alice. Loïc a suivi un parcours parallèle, dédié à la pâtisserie. Il obtient également le titre de Meilleur Apprenti de France en 2012, avant d’enchainer les diplômes : mention complémentaire, brevet technique des métiers, … le pâtissier formera également des professionnels au sein de l’ENSP d’Yssingeaux avant de prendre la tête de la création de la pâtisserie Canet à Nice. C’est à ce moment, début 2018, qu’il obtient le titre de Champion du Monde des Arts Sucrés, en équipe avec sa collègue Marie Simon.

Loïc et Cédric dans leur boutique

Les forces de ce duo sont multiples : chacun reste précisément à sa place sans chercher à intervenir sur le métier de l’autre, leur complémentarité pouvant ainsi s’exprimer pleinement. Ils partagent une vision commune du métier et un objectif clair : satisfaire leur clientèle, créer des plaisirs accessibles à chacun au quotidien. Leur parcours aurait pu les inciter à rêver de paillettes, de créations compliquées et inadaptés à une production « boutique » comme on en voit encore trop souvent dans des formations professionnelles. Les gammes développées dans leur boulangerie-pâtisserie prouvent qu’il n’en est rien : les produits demeurent très rationnels, à la fois en nombre qu’en complexité, même si certaines pâtisseries demandent un soin tout particulier.

La boutique a été entièrement remise à neuf lors du changement de propriétaire et affiche des lignes sobres. On aperçoit au fond le four (un Tagliavini, lui aussi flambant neuf). Le pétrissage, la fermentation et les façonnages sont réalisés à un autre étage, avec un ascenseur pour assurer le transport.

Ces bases solides expliquent sans doute l’accueil reçu par leur commerce dès son ouverture : la demande lors des fêtes s’est révélée bien plus importante que leurs prévisions les plus optimistes, ce qui laisse présager une progression élevée par rapport à leurs prédécesseurs, qui avaient fait le choix de se placer derrière une enseigne Banette et s’étaient spécialisés dans le snacking. Les frères Beziat ont remis au centre de l’affaire les éléments fondamentaux d’une boulangerie et se démarquent ainsi très nettement de leur concurrence.

Si les murs à pains sont souvent étriqués, peu larges et valorisent mal les produits, c’est tout sauf le cas ici : la disposition originale adoptée dans la boutique permet d’être immergé dans l’univers boulanger de Cédric dès l’entrée et de faire son choix en profitant de l’étiquetage précis. L’éclairage met bien en valeur les croûtes brillantes et colorées des pains. Ils sont réalisés avec les farines de 3 moulins, et certaines sont issues de l’Agriculture Biologique. La Minoterie Thamié, située à proximité, fournit notamment la farine de Tradition française, un choix évident pour les frères qui connaissent l’entreprise depuis toujours. Pour le reste, des références sont sélectionnées dans les catalogues des Minoteries Suire et Giraudineau.

Cela commence par le pain, présenté avec beaucoup d’élégance sur un large mur au fond boisé. Ici, pas de baguette de pain courant mais uniquement une Tradition fermentée sur poolish, déclinée en une version graines. Cédric a fait ce choix délibéré pour proposer un pain doux et exprimant pleinement les saveurs de froment de la farine de Tradition, avec un procédé de fabrication évitant les mies caoutchouteuses et le manque de croûte que l’on observe fréquemment. Le même travail de réflexion a été mené pour mettre au point des pains ayant chacun une identité propre, sur base de levain naturel : une tourte de Meule acidulée, le Pain du Père Jouvent (à base de farine de Grand Epeautre) aux saveurs rustiques ou encore la tourte de Campagne et ses notes mielleuses, … autant de produits qui répondront aux goûts et attentes variés des consommateurs, avec toujours des mies bien ouvertes et des croûtes craquantes.

Un superbe croissant, joufflu, léger et beurré.

La viennoiserie s’inscrit dans le même registre, avec des classiques à l’exécution très maîtrisée : croissants, chocolatines (on ne plaisante pas avec l’appellation !), kouglofs, pains au raisins ou brioche Nantaise, on retrouve des feuilletages légers et croustillants ainsi que des mies fondantes et gourmandes. Pour la période des Rois, les galettes feuilletées et briochées auront rencontré un succès mérité : qu’elles soient à la frangipane classique, à la noisette ou aux fruits confits pour la couronne, elles ont bénéficié du même soin pour leur réalisation, ainsi que de la sélection précautionneuse des matières premières.

La brioche des rois, très soignée et agrémentée de vrais fruits confits de qualité.

Sur ce point, les jeunes entrepreneurs ont appris dans leur parcours l’importance d’acheter les bons produits au bon prix pour conserver des coûts de revient corrects, sans chercher à réaliser une débauche de références « haut de gamme » qui ne se justifient pas toujours. Par exemple, Loïc sélectionne pour ses pâtisseries des chocolats de qualité (principalement chez Valrhona) sans rechercher spécifiquement des origines ou des parfums très typés, afin de permettre au plus grand nombre d’apprécier ses créations.

Les pâtisseries bénéficient toutes d’une finition soignée et moderne, avec des décors sobres mais néanmoins attrayants.

C’est vrai qu’il serait idiot de passer à côté de ces pâtisseries, lesquelles déclinent autant de grands classiques du répertoire sucré -Paris-Brest, Opéra, Forêt Noire, tarte au citron meringuée, …- que des gâteaux mis au point par l’artisan et sa compagne Mathilde, qui l’accompagne au sein du laboratoire. Le dénominateur commun de ces douceurs est la modernité, la légèreté des textures, le juste dosage du sucre et le soin porté à leur réalisation. Coup de coeur personnel pour la Tarte au citron meringuée, péchue et très équilibrée, ainsi que pour le gâteau ‘Expresso’, associant avec brio café et noisette… tout cela pour 3,40€ la pièce, autant vous dire la chance qu’ont les cadurciens.

Une belle gamme de gourmandises sucrées en tube : sablés, fruits secs, … à emporter partout !

Les gâteaux de voyage rencontrent également un vif succès, grâce à un format élégant façon finger et un boitage adapté. Ces derniers sont accompagnés par une belle gamme de gourmandises à croquer à tout moment de la journée : sablés, meringuettes, amandes chocolatées et noisettes sablées, ou tablettes variées sans oublier l’incontournable pâte à tartiner… autant de produits rentables et bien dans leur époque.

La terrasse abritée sur l’avenue participe à l’attractivité du lieu et est très appréciable aux beaux jours.

Pour justement y être tout à fait, la boutique continue à proposer une offre snacking et boissons chaudes, en reprenant le concept Croustwich acquis par les prédécesseurs et très apprécié par la clientèle. On peut ainsi, aux beaux jours, s’attabler sur la terrasse extérieure et profiter de la douceur de vivre du Lot.

Difficile de passer à côté de la superbe couronne de campagne ou de la tourte de Seigle à la croûte bien caramélisée !

J’avoue avoir rarement l’occasion de croiser de tels talents, aptes à emmagasiner autant d’expérience et de savoir-faire tout en restant fidèles à une éthique de travail irréprochable. C’est sans doute la raison qui m’a poussé à leur rendre visite dans leur boutique, dont le démarrage est à l’image de leur parcours, irréprochable. Il ne faut pas beaucoup de compétences en prévisions pour leur promettre un avenir brillant sur leur terre natale enfin retrouvée, même si les deux frères gardent les pieds sur terre et ne s’inscrivent pas dans une logique de développement déraisonné. Leurs gammes vont encore s’affirmer et leur créativité pourra s’exprimer pleinement dans cet écrin… ce qui nous donnera autant d’occasions d’aller observer sans jumelles le talent de ces jumeaux, que l’on pourrait bien finir par surnommer les cadors… de Cahors.

Infos pratiques

18 Boulevard Léon Gambetta, 46000 Cahors / tél : 0565353520
ouvert du mardi au samedi de 7h à 19h30, le dimanche de 7h à 13h.

Nos souvenirs et expériences façonnent les paysages dans lesquels nous évoluons. Montrez la photo d’un lieu que vous aimez à votre voisin, il n’y trouvera sans doute pas les mêmes couleurs, la même intensité que vous. Tout simplement parce qu’il n’y aura rien vécu, parce qu’il n’y aura partagé aucun moment avec des êtres chers. Les plus tristes immeubles peuvent parfois devenir des lieux synonymes d’un bonheur intense pour certains, de même que les frais embruns d’un automne humide seront un délice infini pour d’autres. On néglige trop souvent à quel point l’histoire associée à un sujet est presque aussi importante que lui-même. Il faudrait en définitive mieux exercer notre regard, lui donner la capacité de saisir plus facilement toutes les dimensions qui se cachent derrière les choses, ou bien tout simplement abandonner l’idée de toujours voir avec nos yeux pour essayer de saisir le coeur du monde… avec le coeur.

D’ailleurs, s’il y en a bien un qui met du coeur à l’ouvrage, c’est sans doute Emmanuel. Installé en « incubation » depuis septembre 2018 au Fournil Ephémère à Montreuil (93), il développe sa vision d’un produit trop souvent malmené : le Panettone. Si je vous parlais des histoires associées aux choses ou aux produits, c’est que celle de l’entrepreneur donne une saveur toute particulière à ces brioches moelleuses, en plus d’avoir façonné ses convictions et sa vision de la boulangerie-pâtisserie.
Sa carrière professionnelle a commencé bien loin des gourmandises : avocat auprès des réfugiés au sein de la Cimade, Emmanuel a passé 5 ans en France et en Guyane à défendre les droits d’individus en situation précaire, tout en sachant qu’il ne pourrait pas exercer ce métier sur une trop longue période. La vision de collègues usés, aussi bien physiquement que moralement, par la lourdeur de la tâche, l’avait convaincu qu’il se tournerait vers d’autres horizons à l’issue de ce lustre (minute culturelle : un lustre correspond à cinq ans, et c’est de là qu’est apparue l’expression « depuis des lustres »).
Une idée bien éclairée avait alors germé dans son esprit : celle de se rapprocher d’un univers bien plus doux et gourmand, en l’occurence celui de la boulangerie. Ne pouvant s’y former en Guyane, il reprit le chemin de la métropole et fit ses armes au sein de l’Ecole Internationale de Boulangerie. Bien loin de se conformer au parcours habituel des élèves sortant de cet institut -lesquels ont pour vocation de s’installer dans leur propre affaire de boulangerie Bio au levain-, l’artisan fraichement diplômé comptait plutôt développer ses compétences dans la réalisation d’une fameuse brioche aux fruits et au levain naturel… le Panettone.

Une affichette présentant le projet Novantatré aux clients du Fournil Ephémère.

L’histoire prend alors les traits d’une aventure : Emmanuel apprend l’italien en accéléré, embarque sa maison dans une voiture et se dirige vers l’Italie, avec une liste de boulangeries réalisant le produit dans les règles de l’art, avec des matières premières naturelles et de qualité. Il paraît que la chance sourit aux audacieux, et l’adage s’est vérifié ici : c’est à Vérone, au sein de la première entreprise approchée -sans doute sensible à la démarche pour le moins atypique-, qu’il est embauché pour la période des fêtes. Une saison intense au cours de laquelle il a pu intégrer les compétences et tours de main nécessaires pour réaliser le Panettone, guidé dans le processus par une équipe particulièrement cosmopolite mais néanmoins pleinement orienté dans une logique de partage et de qualité.
C’est à l’issue de cette période qu’il regagne la France, après avoir été contacté par François et Gaultier du Fournil Ephémère, grâce au réseau créé par leur cursus commun à l’EIDB. Ils recherchaient en effet un boulanger pouvant effectuer un remplacement sur plusieurs mois.

La boîte mise au point par Emmanuel reprend sobrement les points clé de son projet, tout en permettant un transport optimal de par sa rigidité.

Cela marque le point de départ de la seconde aventure d’Emmanuel : Novantratré. Il a rapidement pu commencer ses premiers essais au sein du laboratoire, en marge de ses activités salariées. En plus de participer à développer une brioche 100% levain pour le Fournil Ephémère, ces quelques mois lui ont permis de disposer d’un environnement fertile avant de se lancer. Seulement, au moment de prendre son envol, le jeune entrepreneur a du faire face à de nombreuses difficultés : convaincre des banquiers de le suivre dans un projet axé autour d’un seul produit, sans disposer d’une forte expérience, s’est rapidement avéré être une mission impossible. Hors de question de faire entrer dans le projet des investisseurs qui auraient, à terme, sans doute contribué à orienter les choix opérés.

Le boulage est une opération délicate : il faut éviter de trop manipuler la pâte ou qu’elle colle, cela risquerait de la déstructurer : elle est particulièrement fragile.

La solution est venue de cette idée d' »incubation » que j’évoquais précédemment. Un contrat a été passé entre le Fournil Ephémère et la nouvelle entité Novantatré, ce dernier régissant leurs relations et permettant à chacun d’évoluer sereinement. Cet exercice a nécessité beaucoup de travail et de réflexion : les compétences juridiques d’Emmanuel ont été très utiles pour y parvenir, ainsi que le bon sens et l’ouverture d’esprits des deux parties. Même si l’expérience a débuté depuis peu, il me semble qu’elle se révèle particulièrement intéressante et que beaucoup devraient s’en inspirer, plutôt que de chercher à la décourager comme cela a été le cas ici. Si l’on considère que beaucoup de fournils ne sont pas utilisés plusieurs jours par semaine, ces derniers pourraient permettre de tester des idées, des produits et des projets sans qu’ils subissent la contrainte immédiate et lourde d’un remboursement de prêt ou d’un loyer.

La pâte en bac après pétrissage et incorporation des fruits.

C’est ainsi que les Panettones Novantatré peuvent commencer à faire leur chemin : il a tout d’abord fallu sourcer les ingrédients (farine, fruits confits…) tous Biologiques (le produit fini est labellisé AB) et autres fournitures (comme le moule papier rigide spécifique pour ce produit) directement en Italie, en s’assurant de la possibilité de les importer en France. Ensuite, la recette s’est affinée et adaptée au matériel présent dans le fournil. L’exigence d’Emmanuel s’exprime sur l’ensemble des sujets : rien n’est laissé au hasard, pas même la température de cuisson des brioches… qui doit atteindre 93°C à coeur, un point contrôlé produit par produit… d’où le nom Novantatré, 93 en italien, lequel se rapporte également à un pan de l’histoire de l’entreprise, hébergée en Seine-Saint-Denis. La communication a été conçue dans le même esprit : un univers accessible, sobre et cohérent avec l’ADN de la marque.
Cette dernière commence à être distribuée en dehors du Fournil Ephémère (où les panettones sont disponibles du lundi au mercredi), tout en restant dans le périmètre bien défini des AMAP, épiceries fines et restaurants. La vente en ligne est également proposée sur le site https://novantatre.fr.

Par son histoire singulière, l’excellence de son savoir-faire et de ses matières premières associés à la fraicheur du produit, Emmanuel nous fait redécouvrir le Panettone. Les français le connaissaient trop souvent sec, sucré, rempli d’additifs et d’arômes (regardez les étiquettes ou demandez à vos boulangers : la plupart utilisent des mélanges qui incorporent émulsifiants et autres plaisirs variés), le voici incroyablement moelleux et fondant. L’enjeu sera de dépasser le caractère saisonnier habituellement associé à cette brioche : en effet, rien n’interdit de la consommer en dehors de la période des fêtes. Bien sûr, son coût élevé en fait une gourmandise d’exception : la pièce de 500g se négocie à 25€, ce qui place le kilo à 50€. Le prix se justifie pleinement : il ne faut pas moins de 5 jours pour les produire, le surcoût matière impliqué par le choix de l’Agriculture Biologique est non négligeable et le volume de pâte pétri à chaque fournée restera limité pour conserver la même qualité.
Pour le garder accessible au plus grand nombre, le produit est également proposé en quarts ou même à la tranche. Ainsi, chacun peut se faire plaisir de façon régulière, même ici à Montreuil où les niveaux de vie restent très disparates.

Les Panettones doivent ressuer la tête en bas : cela permet de conserver leur structure de mie, qui se tasserait sinon.

Beaucoup d’entrepreneurs se sont engouffrés dans l’idée de développer un mono-produit, avec un succès souvent discutable. Pour autant, j’aurais tendance à accorder plus de crédit au projet Novantatré : le Panettone voyage très bien, se conserve longtemps (plusieurs mois, même s’il sèche légèrement) et se partage à l’envie. Ainsi, il répond bien aux envies de notre époque, où l’on a tendance à revenir à des gourmandises simples, naturelles et lisibles. Simples mais pas simplistes, ces brioches étonnent autant qu’elles détonnent… et si elles reposent la tête à l’envers pour stabiliser leurs mies, je ne doute pas qu’elles en feront tourner bien d’autres, tout en nous permettant d’associer à ce produit une nouvelle histoire, une expérience singulière, à la fois liée à ses qualités organaloptiques que par l’histoire et l’engagement de l’artisan qui le façonne.

Avant le pétrissage : les pâtes ont été préparées en amont. Emmanuel a goûté et re-goûté son levain pour contrôler son état, en évitant toute acidité. L’artisan oeuvre comme un véritable funambule, toujours sur le fil, sans aucune sécurité.
La pâte en cours de pétrissage. Emmanuel a du revoir son processus de façon importante pour s’adapter au pétrin à bras plongeants. Il se dégage une odeur incroyablement douce et agréable dans le laboratoire au cours de cette opération : on peut déjà présager du goût du produit fini, obtenu grâce à la fermentation.
La pâte a repris de la structure grâce à un pétrissage lent : pas de seconde vitesse, dans l’optique de toujours respecter le produit.
Les pâtes dans leur moule, prêtes pour un dernier repos avant l’enfournement.
Les moules comme on en voit rarement : hauts et bien rigides, ils contribuent à la qualité du produit fini.

La légitimité est un sujet et une question essentiels dès lors qu’on se lance dans une activité : peut-on prétendre avoir le droit à la parole, à s’affirmer dans l’espace public, et ensuite à mener son aventure autant dans son environnement concurrentiel qu’auprès de sa propre équipe ? Beaucoup considèrent encore aujourd’hui que l’ancienneté dans une discipline permet d’acquérir cette qualité, mais j’avoue ne pas souscrire à cette approche. Le philosophe Michel Serres avait émis l’idée que la seule autorité possible devait être basée sur la compétence, et il me parait que cela vaut autant pour la légitimité. La compétence acquise dans un métier, comme celui de la boulangerie, va permettre de créer des produits et une identité, de transmettre une certaine idée singulière des choses, du goût, d’écrire une histoire… « d’augmenter », de faire grandir l’autre, celui qu’on nourrit, aussi bien spirituellement que de façon très terre à terre par un bout de pain ou une gourmandise.

Le logo, apposé en vitrine, reprend des éléments clé de l’univers lié à la boulangerie : le coquelicot, que l’on retrouvait jadis dans les champs non traités, le pain, les blés et le moulin.

Installée dans le centre-ville de Fécamp depuis fin août, Elodie se questionne encore sur la légitimité de son « Local » dans le milieu toujours trop fermé de la boulangerie. Il faut dire que son parcours n’a rien de linéaire : après une première vie professionnelle dans le secteur paramédical, l’annonce d’un non-renouvellement de contrat au sein de son entreprise de l’époque a sonné comme un appel au changement. C’est alors que ses envies de jeunesse refont surface, et que l’envie de se rapprocher de l’artisanat se développe. Pour elle ce sera la boulangerie, mais pas n’importe laquelle : une boulangerie mue par des valeurs de partage, de responsabilité et travaillant des produits locaux. Elle quitte donc la région bourguignonne et prend le large en Normandie, où l’attend une formation auto-financée au sein de l’INBP. Une fois le diplôme obtenu, consciente de la nécessité d’approfondir ses compétences et d’acquérir des bases solides en terme d’organisation et de productivité, la jeune boulangère s’engage pour une saison au sein d’une station Suisse. Cette riche expérience la conforte dans sa volonté de construire son projet et d’écrire sa voie dans le métier. De retour à Rouen en tant que vendeuse chez le MOF Christophe Cressent, elle rencontre son futur associé Romain, alors cuisinier dans la brigade d’un restaurant étoilé.

Les Pasteis de Nata, réalisés dans leur moule traditionnel, mais avec des ingrédients d’ici : beurre et lait locaux.

L’aventure prend forme en 2016, année au cours de laquelle ils décident de s’associer pour créer leur propre boutique, un espace hors des cadres où pourrait s’exprimer leurs convictions, à la fois en respectant les traditions boulangères et en proposant une offre singulière. Ils choisissent Fécamp, entre mer, falaises et terroir normand, pour s’installer. Ce terroir fécond les a séduit pour sa qualité de vie et les riches possibilités en terme d’approvisionnement : ici, local ne se retrouve pas uniquement dans le nom du lieu, mais aussi dans la logique d’achat des matières premières. La crémerie provient de la ferme Brin d’Herbe, située à Bréauté, laquelle est actuellement en conversion vers l’Agriculture Biologique.

Pains cacao-noisettes, peu sucrés mais néanmoins très gourmands !

Les fruits, quant à eux, suivent le rythme des saisons prennent vie dans le terroir normand, à Jumièges, et les légumes au hameau Le Hamel. Le chocolat est transformé par la Manufacture Cluizel, elle aussi normande même si le cacao a voyagé quelques milliers de kilomètres avant d’arriver ici. Pour limiter l’impact écologique des produits, Elodie a fait le choix d’écarter au maximum les denrées exotiques : pas de vanille et globalement peu d’épices, mis à part peut être le safran normand ! L’huile de colza locale remplace également l’huile d’olive, qui aurait nécessairement plus voyagé.

Au fond de la boutique, les produits sont disposés à proximité du fournil vitré, ce qui facilite l’échange entre la boulangère et ses clients. Elle participe ainsi à la vente et accompagne ses produits jusqu’au consommateur final en prodiguant des conseils de conservation et de dégustation. On notera également l’absence de comptoir : les clients interagissent directement avec les artisans, ce qui créé une relation de plus grande proximité, très conviviale.

Ces choix ont un impact direct sur les gammes proposées ici : elles sont courtes et rationnelles, ce qui permet aujourd’hui à la boulangère d’oeuvrer seule au fournil. Dans l’espace de vente au couleurs atypiques, où le noir tranche nettement avec les teintes dorées des croûtes, pas de baguette et peu de petites pièces de pain ou de viennoiserie : l’accent est mis sur le brut et l’authentique, avec l’idée de proposer des produits « de partage » qui se conservent mieux dans le temps.

Les croûtes sont dorées : Elodie assume pleinement le parti-pris de ne proposer que du pain « bien cuit ».

Les procédés de fabrication ont été conçus dans le même esprit : de longues fermentations (48 à 72h) à température ambiante, un faible ensemencement en levain (une méthode directement inspirée de Respectus Panis, mis au point par les Ambassadeurs du Pain) et une absence totale de levure, mis à part pour quelques gourmandises. Le processus de panification est très peu mécanisé, et à part un pétrin et un four, le laboratoire a fait l’objet d’un investissement limité en matériel. C’est autant un choix rationnel que l’expression d’une philosophie : la jeune boulangère attache beaucoup d’importance au contact avec la pâte et à la relation particulière qu’elle entretient ainsi avec ses créations.
Le résultat est très probant, porté par des cuissons abouties : croûtes marquées, mies bien alvéolées et fondantes, parfums de céréales exaltés par une pointe de levain, sans acidité… Par sa maîtrise de la fermentation, Elodie prouve quotidiennement sa pleine légitimité à s’affirmer dans ce métier.

Les gourmandises sont disposées de façon linéaire, sur une table en bois brut. On repère ainsi immédiatement les produits.

Sa capacité à créer est aussi un excellent indicateur : au delà des « classiques » pains de tradition, campagne ou tourte de Seigle, elle propose régulièrement à sa clientèle des douceurs plus atypiques, à l’image du Lupullus -un pain aux graines et à la bière brassée maison, à partir des produits invendus (une belle idée anti-gaspillage !)-, du pain pomme-tournesol ou du potimarron-graines de courge reprenant fidèlement l’aspect de la cucurbitacée. Chaque samedi la gamme proposée s’élargit et la clientèle vient faire son marché : il n’y a ainsi aucune routine, ce qui permet d’exercer en permanence les envies et les curiosités. Les gourmandises ne sont pas en reste, avec de sympathiques Pasteis de Nata, brioches feuilletées ou aux produits de la ferme, cakes, Kanelbullar tartines salées … autant de recettes qui avaient déjà trouvé un public au travers du blog Elo dans la farine, édité par la boulangère depuis plusieurs années, qui était une première façon de partager sa passion et son savoir-faire… avant de passer à la seconde, plus directe et concrète, ce qui est fait aujourd’hui.

Le mobilier et les matériaux participent à l’atmosphère cosy : parquet, bois, mur façon briques… ce Local est une sorte de boudoir feutré, où l’on rentre avec des attentes bien différentes de celles d’une boulangerie traditionnelle.

Bien sûr, les deux associés continuent à affiner leur approche et leurs gammes : les propositions salées ont été limitées pour se concentrer sur l’essentiel et leur permettre de produire dans les meilleures conditions. Les quantités ont rapidement du être augmentées pour satisfaire la demande et éviter de manquer de marchandise en milieu de journée, ce qui aurait fini par lasser. Ce phénomène est amplifié par une ouverture concentrée sur 4 jours : les clients sont accueillis du jeudi au dimanche matin, le reste du temps étant consacré à la production mais également à… la vie, tout simplement, afin de conserver un bon équilibre entre boulangerie et univers personnel. L’idée de proposer un brunch autour des produits locaux était un temps envisagée, mais la masse de travail déjà conséquente a mis le projet en suspend. Les gourmands peuvent néanmoins s’attabler dans l’espace cosy mis à leur disposition et accompagner les douceurs d’un café Chemex ou d’un thé.

Les pains de tradition sont très accessibles : pour 1 euro, on repart avec 250g d’un pain de qualité, réalisé dans les règles de l’art.

Le Local a été récemment remarqué lors des « Talents Gourmands » organisés par le Crédit Agricole, où Elodie a pu présenter son projet, des produits, ses envies. Elle a ainsi remporté la finale du concours 2018, dans la catégorie artisans. Une belle façon de prouver que faire différent est une belle façon d’exister et, plus encore, de briller plus fort dans une nuit qui nous paraît parfois trop sombre. En tout cas, le projet de ces deux entrepreneurs n’a sans doute pas fini de faire parler de lui, affirmant sa légitimité bien au delà de l’échelon local… sans pour autant lever le camp d’ici, de Fécamp.

L’insatisfaction est une source de progrès. Plutôt que de considérer ce sentiment comme une chose à combattre, il faut le regarder avec bienveillance et chercher à comprendre ses origines pour y répondre de façon constructive. En réalité, la plupart des entrepreneurs sont des insatisfaits : ils sont partis d’un constat de manque sur un marché et ont décidé de s’y positionner pour y répondre et ainsi combler leur propre besoin. En étant les premiers clients de leurs produits, ils sont ainsi poussés à les améliorer en permanence. Forcément, une telle position a ses limites car la pression finit parfois par être trop forte, autant pour soi que pour les autres. L’important est de savoir placer le curseur, d’accepter les compromis sans remettre en question ses fondamentaux, pour pouvoir transmettre et bâtir un projet durable.

La façade n'est pas encore terminée : les travaux ont été très vite.

La façade n’est pas encore terminée : les travaux ont été très vite.

L’offre en pains biologiques n’était pas du goût des frères Bernardin. Lilian et Bruno ont adopté ce mode de consommation de longue date, et c’est de ce constat qu’est parti l’idée de se lancer dans l’aventure. Le B a ouvert ses portes le 7 juin dernier à Ahuy, en périphérie de Dijon. C’est la concrétisation de ce projet de reconversion entretenu par les deux hommes et leur équipe. En effet, pour passer de consommateur à producteur, il aura fallu passer par l’indispensable étape de formation. Lilian Bernardin a suivi un cursus accéléré au sein de l’Ecole Internationale de Boulangerie, dirigée par Thomas Teffri-Chambelland, à Noyers-sur-Jabron (04), tout comme son équipe de production.

Une équipe souriante et passionnée par le pain au levain naturel. Tous les trois se sont lancés dans l'aventure après des parcours variés : restauration, communication, ... leur dénominateur commun a été tout trouvé ici.

Une équipe souriante et passionnée par le pain au levain naturel. Tous les trois se sont lancés dans l’aventure après des parcours variés : restauration, communication, … leur dénominateur commun a été tout trouvé ici.

Grâce au riche bagage transmis par les formateurs de cette structure, ils ont pu acquérir des connaissances solides sur la panification au levain naturel, à partir de farines biologiques. Au delà de la formation en elle-même, c’est une approche du métier qui leur a été transmise et qui s’exprime ici, dans cette ancienne imprimerie.
Le client est invité à découvrir un espace entièrement dédié au pain et aux gourmandises qui y sont associées : ici, pas de pâtisserie, de croissants, de baguettes ou de snacking. Dans le laboratoire vitré, entièrement visible depuis la boutique, l’équipe pétrit, cuit et façonne des produits naturels dans le respect de la pâte et des matières premières : pétrissage lent dans des pétrins à bras plongeants, longue fermentation au froid (plus de 16h), façonnage et division entièrement manuels… Le laboratoire a été conçu et équipé pour être adapté au projet de l’entreprise, et c’est l’un des avantages incontestables d’une création.
Les horaires ont été définis pour offrir une meilleure qualité de vie à l’équipe et garantir le respect des fermentations : la boutique ouvre ainsi à 11h, sauf le lundi à 16h.

Le parking et ses places réservées : un atout pour l'attractivité du commerce.

Le parking et ses places réservées : un atout pour l’attractivité du commerce.

L’emplacement choisi peut surprendre mais il correspond à la volonté de Lilian Bernardin d’être positionné à proximité d’un magasin biologique (ici, une Biocoop dont le transfert est en cours), sur un axe passant avec des places de stationnement. Cela permet de se défaire des contraintes imposées par les loyers élevés proposés en centre-ville tout en attirant une population habituée à faire ses courses en voiture, comme c’est le cas dans ce territoire.
La boutique n’est pas encore finalisée -la devanture attend sa personnalisation, notamment- mais l’essentiel est déjà là : ce sont les produits qui parlent le mieux.

Tous les pains sont présentés à la hauteur du client, pour un rendu très gourmand.

Tous les pains sont présentés à la hauteur du client, pour un rendu très gourmand.

Le plus remarquable dans cette ouverture est sans doute la qualité des gammes proposées ici après si peu de temps. En effet, les pains, brioches et autres sablés se révèlent plus que convaincants : les produits sont brillants, bien développés et alvéolés. Pour la fermentation, des levains jeunes ou de la veille sont utilisés en fonction du type de pain et de l’acidité recherchée. Une faible dose de levure est incorporée.

Le fournil communique de façon fluide avec la boutique grâce à la large baie vitrée.

Le fournil communique de façon fluide avec la boutique grâce à la large baie vitrée.

Les farines mises en oeuvre au fournil sont livrées par trois meuniers : Decollogne -partenaire local oblige-, le Moulin Pichard et le Moulin Chambelland pour les céréales sans gluten. Chacun y trouvera son compte, car la variété de pains est suffisamment large pour satisfaire un large public. Le plus accessible reste sans doute le Chanoine, réalisé à partir de farine T65 et levain de khorasan, même si le Téméraire (méteil), le Hardi (petit épeautre), le Sechskornbrot ou les nombreuses déclinaisons aromatiques (aux noix, céréales, …) sont tout aussi séduisants.
La viennoiserie se décline en brioches, pompes à huile et spécialités vegan, à l’image de la Dijonnaise, réalisée à partir de matière grasse végétale, de curcuma et coiffée d’un voile de sucre.
Enfin, les propositions sans blé bénéficient du savoir-faire développé par Chambelland dans la mouture et la panification de céréales naturellement sans gluten (riz, sarrasin…).

Un pain, Le B, Ahuy (21)

J’ai toujours grand plaisir à découvrir de telles initiatives centrées sur les fondamentaux d’un artisan boulanger. Elles nous montrent que la diversification effrénée de l’offre n’est pas une fatalité dans la profession et que l’on peut développer d’autres modèles. Mieux encore, en s’affranchissant de ces « codes », ces projets se différencient nettement de leur environnement concurrentiel et proposent des alternatives pleines de sens et de saveur pour les consommateurs… mais aussi pour les artisans, qui retrouvent du plaisir à exercer leur métier en travaillant des produits de qualité, en se concentrant sur la maîtrise des fermentations.

Pas de bon pain sans un bon pétrissage !

Pas de bon pain sans un bon pétrissage !

Le B possède donc toutes les cartes en main pour réussir… et mérite bien un A !

Infos pratiques

2 rue des Grandes Varennes – 21121 Ahuy / tél : 03 80 66 27 72
ouvert le lundi de 16h à 20h et du mardi au samedi de 11h à 20h.

Le talent n’est pas distribué de façon égale au sein de la population. Doit-on le considérer uniquement comme inné, ou bien pourrait-il se développer à force de travail ? Beaucoup d’entre nous seraient contraints à un champ d’action bien restreint s’il n’était pas possible d’agir sur ce terrain. On le définit comme « une aptitude particulière à faire quelque chose », ce qui me semble signifier qu’il appartient à chacun de saisir les rennes de son destin pour écrire sa propre histoire, en s’écartant de toute forme de fatalité et de règles définies.

Logo, L'Atelier des Artistes 2, Romainville (93)

L’exemple de Stéphanie, Luzia et Jorge me paraît assez parlant. Il n’était pas boulanger, mais il l’est devenu au sein de l’entreprise familiale des Dias, dans le 12è arrondissement, tandis que les deux femmes ont elle aussi développé leurs compétences en vente et en pâtisserie. Au moment de prendre leur envol, ils étaient ainsi parfaitement armés pour répondre aux futures attentes de leur clientèle. Trois aspects de la vie de leur future affaire étaient maîtrisés : la vente et la gestion de la boutique pour Stéphanie, la pâtisserie pour Luzia et le boulangerie pour Jorge.

Viennoiserie, L'Atelier des Artistes 2, Romainville (93)

J’ai déjà eu l’occasion de vous parler à plusieurs reprises de ce succès, qui caractérise pour moi la rencontre entre une clientèle, une demande « dormante » et des artisans. Depuis leur installation à la rentrée scolaire 2013, leur capacité à faire grandir cette discrète affaire ne s’est pas démentie. Après avoir repoussé les murs, l’envie d’aller plus loin était née au sein du trio. Plus loin mais pas tant que ça, car il n’était pas question de s’éloigner de leur première boutique. En boulangerie artisanale, le développement est souvent synonyme de perte de qualité. Dans le cas présent, c’est une opportunité pour remédier à des problèmes d’organisation liés à l’augmentation de l’activité, et ainsi améliorer la régularité des produits.

Devanture, L'Atelier des Artistes 2, Romainville (93)

En parlant d’opportunité, il fallait trouver la bonne, et cela aura pris un peu de temps. Ce n’est sans doute pas un mal, car il n’est jamais bon de se précipiter. Le centre de Romainville est en plein changement : naissance de nouvelles habitations collectives, déplacement du marché, arrivée future du métro, … L’implantation d’une boulangerie -de qualité, qui plus est, avec l’accroissement naturel du niveau de vie- était donc tout à fait naturelle.
Ce lundi, malgré la pluie, la lumière s’est allumée au 2 rue de la Résistance. Après plusieurs semaines de travaux -réalisés par Pep’s Création pour l’agencement de la boutique et AVMA pour le matériel du fournil-, l’équipe ne cachait pas son impatience. Cette boutique, c’est la leur : grâce aux larges volumes mis à leur disposition et au fait qu’ils arrivaient dans un local neuf, ils ont pu exprimer pleinement leur identité dans ce projet et construire un espace à leur image.

Pains, L'Atelier des Artistes 2, Romainville (93)

Les clients sont accueillis dans un espace sobre, où chacun des talents est mis à l’honneur : les pâtisseries de Luzia à l’entrée, le pain et les viennoiseries de Jorge dans le prolongement… et pour les servir le sourire, le conseil et la bienveillance de Stéphanie et son équipe. Quelques mange-debout permettent de s’arrêter un instant pour faire une pause… tandis que l’on s’active en coulisses. Le fournil, installé de plein pied dans le prolongement de la boutique, est bien équipé : chambres de fermentation, four neuf, … rien ne manque pour produire des gourmandises de qualité. La viennoiserie dispose de son espace dédié, avec climatisation pour permettre de ne plus subir de variations de température, lesquelles altèrent la qualité du feuilletage.
Pour l’avenir, les artistes disposent d’un sous-sol équivalent à la superficie de la boutique pouvant être aménagé à leur guise. Cet investissement n’était pas justifié dans l’immédiat, mais il laisse de belles perspectives pour le développement de l’activité.

Pâtisseries, L'Atelier des Artistes 2, Romainville (93)

La production se révèle déjà plus que convaincante : on retrouve naturellement la baguette de Tradition Bagatelle, les pains au levain à base de farine Biologique, la tourte de Seigle, le Broa… et toutes les gourmandises qui ont fait la réputation de la maison.
Je suis toujours heureux de voir de tels professionnels continuer en droite ligne de leur engagement. La qualité globale de la prestation proposée ici est l’expression d’une vraie passion pour le métier et une envie de satisfaire la clientèle. Souhaitons-leur de connaître encore beaucoup de levers de rideau.

Mur à pains, L'Atelier des Artistes 2, Romainville (93)

Infos pratiques

2 rue de la Résistance – 93230 Romainville (métro Mairie des Lilas, ligne 11)
ouvert tous les jours sauf le jeudi de 7h à 20h.

Réflexions

26
Avr

2016

Etre Artisan Boulanger

15 commentaires

S’il y a bien un aveu que je dois faire, c’est celui de ne pas lire ni avoir lu beaucoup de livres dans mon existence. Peut-être est-ce par fainéantise, par envie d’aller toujours vite, trop vite, … ou bien par volonté d’affirmer une totale liberté d’esprit et de conscience, pour échapper un peu au bruit généré par toutes ces pensées tantôt concordantes ou discordantes, pour éviter de poser trop vite des mots sur le monde et les situations que je rencontre. C’est sans doute pour ça que je n’aime pas les dictionnaires. Peu importe leur taille, ils réduisent en quelques mots la définition de termes mouvants, changeants, vivants. Voilà pour moi le fond du problème : les choses ne se définissent pas de façon certaine, elles se vivent.

D’ailleurs, on ne trouve pas de véritable définition d’artisan boulanger dans de tels ouvrages. « Boulanger » ? « Personne qui fabrique ou vend du pain » selon le Larousse. « Artisan » ? « Personne qui pratique un métier manuel selon des normes traditionnelles. »
J’avoue que je ne trouve rien dans tout cela qui corresponde vraiment à l’idée que je me fais d’un artisan boulanger aujourd’hui. Cette appellation a été tellement maltraitée et galvaudée qu’il conviendrait de lui redonner du sens, et d’empêcher son utilisation abusive. Plus que chercher à définir quoi que ce soit, je voudrais simplement plaider pour une véritable prise de conscience de l’importance des mots et du fait que nous devrions songer à pousser le législateur à remettre de l’ordre dans les appellations que certains s’octroient abusivement.

Etre Artisan Boulanger, c’est… pétrir et cuire le pain sur place.

Les chaines de boulangerie ont bien compris comment tourner la législation à leur avantage en mettant en avant leur titre d'"artisan boulanger".

Les chaines de boulangerie ont bien compris comment tourner la législation à leur avantage en mettant en avant leur titre d' »artisan boulanger ».

Depuis le 25 mai 1998, date à laquelle est parue la loi Raffarin, l’appellation d’artisan boulanger est réglementée en France. Elle précise en effet que « seuls les professionnels qui assurent eux-mêmes à partir de matières premières choisies, le pétrissage de la pâte, sa fermentation et sa mise en forme ainsi que la cuisson du pain sur le lieu de vente au consommateur peuvent utiliser l’appellation de  » boulanger  » et l’enseigne commerciale de  » boulangerie « . »

C’est à la fois une bonne et une mauvaise chose : en effet, c’est sur ce texte que s’appuient de grandes chaines de boulangerie pour utiliser cette fameuse appellation. Il se limite à traiter le sujet du pain (sans s’intéresser d’ailleurs à la façon dont il est produit et au savoir-faire mis en oeuvre) or c’est bien loin d’être suffisant : qu’en est-il de la viennoiserie, de la pâtisserie et de tous les autres produits, sucrés ou salés ?

Etre Artisan Boulanger, c’est… proposer des produits 100% maison.

PLV Viennoiserie Maison, Les Journées Pro des Moulins de ChérisyLa vie n’est pas un libre-service : on ne prend pas ce qui nous arrange pour laisser les contraintes de côté. Quand on choisit de se lancer dans une voie, il faut assumer jusqu’au bout et ne pas trahir la confiance de ceux à qui l’on s’adresse. C’est précisément le cas quand des « artisans » vendent des produits industriels à leurs clients sans leur notifier. Cela touche aussi bien à la viennoiserie, à la pâtisserie qu’au reste.
Certains m’ont déjà objecté qu’ils faisaient le choix de proposer des produits qu’ils ne maitrisaient pas dans leur gamme, pour répondre à une demande et ainsi développer leur chiffre d’affaires. Le raisonnement est erroné à plus d’un titre : ils remettent en cause leur propre capacité à être force de proposition et à développer une gamme correspondant à leur savoir-faire, tout en laissant volontairement entrer l’industrie au milieu d’une offre artisanale. Le message n’est pas clair, autant pour le consommateur que pour le personnel de production ou de vente.

Echelle de viennoiseries, 30 ans de Panifour, lundi 7 octobre 2013

Faire maison, c’est se différencier par le goût et fidéliser durablement la clientèle. Ceux qui proposent une viennoiserie maison bien réalisée, avec rigueur et passion, sont reconnus et valorisés dans leur zone de chalandise… ce n’est pas un hasard.

Etre Artisan Boulanger, c’est… sélectionner ses matières premières

 

Justement, quand on ne fabrique pas, il est impossible d’être certain de l’origine et la qualité de ses matières premières. Les consommateurs sont toujours plus sensibles à ce sujet et les artisans doivent pleinement s’en saisir pour se différencier nettement.
Aujourd’hui, beaucoup de boulangers font encore confiance à des grossistes dont je tairai le nom, et assemblent ainsi des ingrédients sans intérêt gustatif, en plus d’être souvent chargés en additifs. Sous couvert de préserver leur compte de résultat, ces professionnels participent à l’uniformisation du goût et participent à un système qui les écrase.

Chez Metro et autres, on sait bien endormir les artisans pour les inciter à acheter à peu près tout... et n'importe quoi.

Chez Metro et autres, on sait bien endormir les artisans pour les inciter à acheter à peu près tout… et n’importe quoi.

Sélectionner ses matières premières ne se limite pas à la farine et au beurre pour réaliser sa viennoiserie. Des fruits pour des tartes, des légumes pour les sandwiches, de la viande et de la charcuterie, des amandes, des noisettes, … les références sont nombreuses dans les chambres froides et réserves des artisans, et même si le travail de sourcing peut être vu comme un véritable casse-tête, c’est le gage d’entretenir des relations avec des fournisseurs passionnés… et pour beaucoup des artisans également, ce qui contribue à entretenir notre tissu de petites entreprises. Bien sûr, il ne faut pas oublier de respecter les saisons et de consommer local autant que possible. Ce sont autant de gages de qualité, de goût et de fraicheur. Si les industriels savent proposer un produit identique toute l’année, la force de nos artisans boulangers doit justement d’être capable de s’adapter et de créer en fonction du marché et de l’inspiration.

Les tartes aux fruits rouges... ce n'est qu'en saison!

Les tartes aux fruits rouges… ce n’est qu’en saison!

Etre Artisan Boulanger, c’est… affirmer son identité au travers de sa boutique et ses produits.

Les boulangers ont fait longtemps confiance à des partenaires variés -meuniers, ingrédientistes, groupements…- pour leur apporter des solutions leur permettant de développer leurs gammes de produits, ainsi que le marketing associé voire même le lieu de vente où les déployer. Cette période est révolue : ces solutions « de masse » ne correspondent plus aux besoins des artisans, qui doivent se différencier pour survivre et ainsi développer leur identité.

Un lieu unique pour des produits uniques : une boulangerie artisanale.

Un lieu unique pour des produits uniques : une boulangerie artisanale.

Nous avons tous une histoire et des goûts différents : la nature même de l’artisanat devrait encourager chacun à les exprimer dans son travail quotidien, avec des produits façonnés à son image. Ainsi on pourrait découvrir des boulangeries aux pains tous différents, aux baguettes variées, … ce qui pourrait générer l’intérêt de la clientèle. Au lieu de ça, on rencontre très souvent des produits sans âme ni saveur. Le marketing ne doit pas être vu comme un outil servant à remplacer les qualités intrinsèques du produit, qui parlent bien mieux que tout discours. Beaucoup de consultants vendent aujourd’hui des études encourageant à tort les artisans à prendre de façon forcenée le tournant de la communication, en oubliant qu’il faut avant tout soigner ses fondamentaux. Inutile de raconter des histoires si l’on n’a rien à dire.

Pains, Du Pain pour Demain, Dijon (21)

L’aménagement de la boutique est un point essentiel : les agenceurs ont su imposer des ambiances toujours plus sophistiquées et éloignées de l’essence même de la boulangerie artisanale. Il n’est pas rare que le client identifie difficilement la nature du commerce dans lequel il rentre. Grilles à pains sacrifiées, matériaux aussi clinquants que fragiles, … même si l’esthétique est importante, il ne faut pas oublier que l’espace de vente doit rester un outil de travail efficace et robuste. Dès lors, plutôt que d’écouter sans esprit contradictoire les conseils et préconisations de ces prestataires, le mieux reste de trouver ses idées et inspirations en prospectant sur le terrain par soi-même… pour construire un projet unique.

Etre Artisan Boulanger, c’est… donner du sens et des valeurs à son métier.

Je crois que l’un des maux principaux que rencontrent les artisans boulangers est le manque de sens dans leur travail quotidien. Ils ont été, au fil des années, entièrement formatés dans des processus répétitifs et aliénants. Si la mécanisation des tâches et l’utilisation du froid pour la fermentation les déchargent de nombreux poids, leur attention n’en a pas pour autant été accrue sur les éléments fondamentaux de leur métier : la maîtrise des fermentations, l’attention portée aux pâtes et à leurs textures, etc. L’uniformisation des farines et l’incorporation massive d’aides technologiques n’y sont pas étrangers, car l’ensemble des compétences sont concentrées en amont, c’est à dire chez les meuniers, ingrédientistes et céréaliers.

La tourte de Seigle, Portes Ouvertes du Moulin des Gaults, 23-26 juin 2013

Des produits riches en savoir-faire, faisant appel à la sensibilité du boulanger lors de leur fabrication.

Nous devons changer de modèle, renverser la vapeur et faire en sorte que les fournils soient des lieux où la sensibilité de chacun peut s’exprimer. Plutôt que d’imposer des recettes figées, l’adaptation aux paramètres de l’environnement (farine, température, hygrométrie, four, pétrin…) doit être recherchée. C’est le seul moyen d’assurer la qualité de la production sur le long terme, tout en garantissant à la clientèle que cette dernière soit réalisée dans le plus pur respect des valeurs artisanales.

La tyrannie du snacking

La tyrannie du snacking

Parlons justement de valeurs : les entrepreneurs en boulangerie les ont sacrifiées sur l’autel du profit et de la « réussite ». Il faut aller vite, toujours plus vite, quitte à oublier qui l’on est. Défendre des valeurs d’artisan boulanger, c’est respecter ses fondamentaux et faire en sorte que le pain et les produits qui lui sont associés restent la clef de voute du fonctionnement de l’affaire. Plus on s’en éloigne et plus on se tourne vers des activités annexes, plus on affaiblit son entreprise et en définitive la profession toute entière. En allant jouer sur le terrain des autres, où l’on ne possède pas de supériorité ni de légitimité associés à un savoir-faire spécifique, on prend le risque de se faire dépasser sur tous les tableaux… et au final de se retrouver nu, sans rien pour se défendre.

Etre Artisan Boulanger, c’est… entretenir et transmettre un savoir-faire.

Tout passe par la transmission. En inculquant cette vision, ces compétences, dans les centres de formation et au cours de l’apprentissage, on met en place un cercle vertueux.
Si les meuniers doivent prendre leurs responsabilités auprès des organismes locaux (CFA, chambres des métiers, …), nos artisans ont à leur charge de respecter et faire grandir les jeunes qui s’impliquent dans leurs entreprises. Tout se rejoint : en choisissant de fabriquer l’ensemble des produits, en étant exigeant sur les process et en montrant que cela fonctionne et créé du plaisir pour la clientèle, on créé de futurs professionnels engagés et animés par la volonté de porter haut de fort les couleurs de l’artisanat.

Les produits réalisés par les élèves d'un CFA : créativité, goût et respect du produit leur ont été transmis.

Les produits réalisés par les élèves d’un CFA : créativité, goût et respect du produit leur ont été transmis.

Etre Artisan Boulanger, c’est… tout simplement aimer les gens.

J’ai croisé trop souvent des artisans aigris, qui avaient complètement oublié leur vocation première. Je pense que si l’on choisit de devenir artisan boulanger, c’est avant tout pour faire plaisir aux autres. Les autres ne sous-entend pas uniquement la clientèle, mais aussi son personnel de vente et de production. La bienveillance que l’on a vis à vis des autres se ressent dans leur manière d’agir. L’expérience nous a suffisamment prouvé que le management par la terreur n’apportait rien de bon sur le long terme.
Si l’on finit par perdre cet amour des autres à force de fatigue et de difficultés, il faut sans doute prendre le temps d’aller voir ailleurs, de s’aérer l’esprit, d’élargir ses horizons. Aller à la pèche, se promener en forêt, profiter du soleil couchant. Vivre. Vivre pour remettre de la vie et de l’amour dans le pain.

Le monde est beau car il est fait de couleurs, de diversité. Vouloir réduire la palette des teintes mises à notre disposition pour peindre nos histoires, nos vies, c’est chercher à fabriquer des oeuvres incomplètes, pauvres et sans saveur. Je sais que de nombreux individus sont aujourd’hui engagés à temps plein dans cette entreprise, je sais que la différence n’est pas valorisée mais rejetée. Doit-on aboutir à des paysages uniformes, doit-on finir par tous se ressembler ? Non, car nous perdrons définitivement une partie de nous-mêmes.

La filière blé-farine-pain n’échappe pas à ce mouvement d’uniformisation. En passant d’environ 40000 moulins au début du 20è siècle à seulement 300 aujourd’hui, nous devons faire face à des entreprises de toujours plus grande taille, avec une uniformisation des produits et des approvisionnements. Ces groupes multinationaux, qui se vantent pour beaucoup de leur actionnariat coopératif (Vivescia, Terrena, Axéréal-Dijon Céréales, …), s’inscrivent dans une pure logique de volume et oublient complètement le facteur humain et les enjeux environnementaux qui sont pourtant essentiels pour bâtir une filière vertueuse et durable.

Des gros toujours plus gros, des petits toujours plus seuls

On sait bien de quoi sont capables nos amis les grands meuniers : condamnés pour entente sur les prix à de multiples reprises, ils continuent à faire la pluie et le beau temps. A lui seul, le top 10 de la meunerie française concentre plus de 90% du volume de blé écrasé. Une situation qui ne semble émouvoir personne, mais qui a pourtant de grandes incidences sur le fonctionnement du marché : leur façon d’agir a un impact direct sur le reste des acteurs, et ils possèdent la pleine latitude pour emmener le secteur là où ils le souhaitent. S’ils prétendent être très concernés par la « qualité » et le « service », leurs préoccupations se sont recentrées autour de l’industrie et d’une approche productiviste : il faut aller toujours plus loin dans la recherche agronomique pour développer des variétés « performantes », alors même que la population est sensibilisée aux enjeux que présentent ces blés modernes et leur digestibilité relative. Les terres continuent d’être exploitées sans aucun respect, avec des traitements qui nous conduisent tout droit vers un appauvrissement définitif des sols. La Beauce, que l’on surnommait jadis « le grenier à blé de l’Europe », a été touchée de longue date et ses grandes heures semblent à présent bien lointaines.

Pour asseoir leur mainmise sur le marché, ces groupes se concentrent et s’absorbent : Axéréal et Dijon Céréales se sont rapprochés l’an passé, et ils prendront prochainement le contrôle des Grands Moulins de Strasbourg via l’entité G6M, selon un accord conclu en 2013. Ce nouveau mastodonte sera donc placé en concurrence frontale avec le groupe Vivescia-Nutrixo et Soufflet, avec une domination du marché encore plus accrue qu’aujourd’hui. L’opération est discutable à plusieurs égards : pour l’équilibre du marché mais aussi pour l’impact que peut avoir leur façon d’agir vis à vis du reste de la filière. L’artisanat n’est pas une passion pour eux, et la course aux volumes dans laquelle ils sont engagés semble sans limites. D’autres acteurs, de plus petite taille, ont choisi de les suivre dans cette dynamique, au risque de se faire happer par cette grosse machine. Les prédateurs d’un jour seront-ils les proies de demain ? Quand bien même ils voudraient faire autrement, certains n’y échappent pas : c’est notamment le cas de la Minoterie Vulliermet, dans l’est de la France, qui a été absorbée par le groupe Nicot courant 2015. Engagée dans le Label Rouge, la démarche Bagatelle et l’approvisionnement local, sa culture était quelque peu incompatible avec celle de son acquéreur… de quoi donner quelques sueurs froides à ses clients, et nous mettre face à une réalité : si l’on ne parvient pas à assurer la subsistance de moulins indépendants, nous sommes condamnés à voir émerger une boulangerie complètement uniformisée.

Les Grands Moulins de Paris, un marché mondial...

Les Grands Moulins de Paris, un marché mondial…

L’association de la Moyenne et Petite Meunerie Française (MPMF) tente de regrouper de petits meuniers pour leur donner de la visibilité, les accompagner dans leur évolution et tenter de peser dans la « balance » de la meunerie… mais ces actions demeurent assez anecdotiques face à la solitude dans laquelle peuvent se trouver ces entreprises. Elles sont souvent contraintes de cesser leur activité de mouture pour devenir de simples dépôts, dans le meilleur des cas. La responsabilité sociale que porte l’artisan boulanger en choisissant son meunier est aujourd’hui particulièrement importante : en faisant confiance à de grands groupes, il participe à un système qui contribue à l’écraser lui aussi, car il se trouve noyé dans une somme d’intérêts contraires et n’aboutissant pas à l’élévation du niveau de qualité. Etre artisan boulanger, c’est être responsable en choisissant de respecter l’humain et les ressources naturelles.

La boulangerie à la verticale

L’horizontal, c’est pas l’idéal – Tu devrais mettre les voiles – A la verticale (A la verticale, Superbus) (après les Simpson récemment, voilà que je cite du Superbus, le niveau culturel de ce blog s’envole littéralement)
Je pense que certains ont trop écouté de soupe variété française et ont fini par être convaincus que la division horizontale des activités dans la filière n’était pas une bonne idée, et qu’il fallait empiler les casquettes, histoire de ne pas risquer d’avoir froid l’hiver.
Soufflet concentre ainsi des activités de négoce de céréales, de meunerie, de viennoiserie-pâtisserie industrielles (via Neuhauser & Collection Gourmande), NutriXo déploie à peu près la même collection avec les Grands Moulins de Paris et Délifrance. Quand je parlais d’intérêt contraires, c’est à cela que je pensais : préfèrent-ils vendre de la farine ou des produits finis, à plus forte marge ? préfèrent-ils garder des valeurs d’artisanat ou poussent-ils la profession à renoncer au fait maison, que ce soit pour des croissants… ou pour du pain ? Oui, vous savez, c’est si difficile de développer sa gamme, pétrir, façonner, … ça prend du temps, vous aurez besoin de salariés, non, allez, contentez vous de faire des baguettes pour entretenir l’illusion que vous êtes un artisan, ça ira très bien comme ça !

Plutôt que d’aller chercher les professionnels dans leurs fournils, on peut aussi les saisir… au berceau, ou plus précisément dans les écoles de formation. Les Grands Moulins de Paris savent utiliser l’EBP comme caution morale de leur engagement pour la boulangerie, mais c’est en réalité beaucoup plus insidieux et intéressé que cela : la structure peut ainsi servir de vitrine pour leurs produits, accueillir des événements (comme la Coupe du Monde Delifrance du Sandwich)… Soufflet est en train de suivre le même chemin, avec l’inauguration récente d’un laboratoire de boulangerie-pâtisserie au sein de l’école Ferrandi. Avant d’aller plus loin ?

Allons plus loin encore dans la verticale. En bas, tout en bas. Certains ont déjà franchi le pas : ils achètent des boulangeries ou ouvrent les leurs. Par exemple, Pierre Guez et son entreprise déjà tentaculaire Dijon Céréales ont récemment acquis la boulangerie de Danièle et Jean-Pierre Crouzet, située à Fontaine-lès-Dijon, sans doute pour y installer leur enseigne L’Atelier du Boulanger. Ne voyez-vous pas un léger problème quand le président de la Boulangerie française réalise une transaction de ce type avec un acteur majeur du marché ? Personnellement, si.
D’autres suivent des chemins similaires. Ainsi, les Moulins Viron ont acquis plusieurs boulangeries parisiennes pour y placer des gérants, à l’image du Pétrin d’Antan, au 174 rue Ordener, Paris 18è.
Chez les Forest, on fait encore mieux en développant son propre réseau de franchise, les Moulins de Païou. Cela doit nous interpeller sur une évolution qui pourrait se profiler sur le long terme : du fait des faibles marges obtenues sur la farine, et du caractère déficitaire de certaines entreprises présentes sur le marché de longue date, l’intégration de l’ensemble du processus allant jusqu’au pain permet de récupérer de la marge en bout de chaine. De plus, les coûts liés à la commercialisation (service clients, livraison, …) sont réduits.

Si l’on s’en tient à la seule boulangerie, ces fameuses enseignes aux prix cassés, mais aussi les entrepreneurs multi-points de vente, contribuent à l’uniformisation de l’offre et à l’avènement d’un modèle où le savoir-faire autour de la panification n’a plus sa place. Dès lors, on créé une rupture durable -voire définitive- dans la transmission, sans pouvoir prétendre générer des vocations, le métier devenant toujours plus répétitif et aliénant.

A long terme, une remise en question du modèle de la meunerie ?

Si l’on poursuit le raisonnement, le développement de telles entités entièrement concentrées remet en question le fonctionnement actuel de la meunerie, qui entretient des notions de qualité et de service (comme l’ANMF le souligne très justement sur son site internet). Plus que des meuniers, nous aurons à faire à de simples usines, chargées de ravitailler en poudre blanche des fournils où l’on fera un mélange étrange devant aboutir à la fabrication de pain. Si l’on ne parvient pas à freiner le développement des réseaux de boulangerie du type Marie Blachère -qui nous dit d’ailleurs que Soufflet, partenaire historique de l’enseigne, n’en prendra pas le contrôle à terme ? Ce serait là un excellent débouché, sécurisé, pour leurs gros volumes-, Ange, Louise, etc., c’est ce qui nous attend.

Notre responsabilité à tous est engagée au quotidien : en tant que consommateurs, nous devons avoir conscience du fait que notre acte d’achat a des conséquences sociales et environnementales, que préférer acheter un prix plus qu’un produit détruit de la valeur à long terme. Pour les boulangers, c’est une profonde remise en question de leurs pratiques qui doit s’opérer pour continuer à exister demain, en marge de tous ces mastodontes et de leurs productions formatées.
Soyons donc concentrés… pour éviter la concentration.

Les meilleurs boulangers, ceux qui arrivent à faire vivre et grandir leur affaire, sont avant tout… d’excellents mathématiciens. Ils ont compris que tout tenait à la réalisation d’une équation entre un emplacement, une clientèle, des prix et des produits. En intégrant ces différents paramètres, leur offre s’adapte parfaitement à l’environnement dans lequel ils évoluent et leur affaire ne peut qu’être florissante. Trop peu d’artisans possèdent aujourd’hui cette culture – car c’est bien de cela qu’il s’agit. Au lieu d’en prendre conscience, de faire amende honorable et de s’entourer habilement, ils préfèrent souvent persister dans l’erreur… au prix de conséquences regrettables. Ainsi va la vie.

Devanture, Boulangerie Méline, Compiègne (60)

Carlos de Oliveira a peut-être raté sa vocation dans les chiffres et les calculs, si l’on s’intéresse au fonctionnement de sa boulangerie. Peut-être – et sûrement – pas si l’on regarde ses produits. Installé depuis l’automne 2014 à Compiègne, ce Meilleur Ouvrier de France applique avec beaucoup de talent les conseils qu’il a longtemps prodigué auprès d’artisans, dans le cadre de missions de conseil.
En posant ses valises au bord de l’Oise, il a offert à cette ville un profond renouveau de son offre boulangère… et je pense que les Compiégnois auraient bien du mal à s’en plaindre.

Sur le pont qui relie la gare à Compiègne. La boulangerie Méline est juste un peu plus loin.

Sur le pont qui relie la gare à Compiègne. La boulangerie Méline est juste un peu plus loin.

Difficile de passer à côté de la boulangerie Méline, tant son emplacement est judicieux : à l’entrée du centre ville, sur le chemin de la gare, elle s’inscrit dans une perspective idéale et jouit pleinement de la belle ouverture qui mène au pont. Voilà donc pour l’emplacement.
Même si nous ne sommes pas à Paris (plutôt loin, d’ailleurs !), la population locale possède un fort pouvoir d’achat, et la ville accueille le week-end de nombreux promeneurs. Dès lors, il est plus aisé de mettre en place une offre qualitative, car la clientèle sera plus réceptive. Pour autant, l’artisan a fait le choix de pratiquer des tarifs accessibles : 1 euro pour la baguette de Tradition, 0,90 centimes pour le croissant, sans compter des spéciaux tout aussi accessibles et des gourmandises à la portée de tous.

Meringues & traiteur, Boulangerie Méline, Compiègne (60)

Lorsque l’on passe la porte de l’établissement, on comprend quasi-immédiatement que l’on n’est pas venu pour rien. Le linéaire pâtisserie et traiteur nous accueille avec des produits bien finis et variés, ce qui nous prouve que Carlos de Oliveira et son équipe sont des artisans appliqués… et « complets ». De la tarte boulangère à l’entremets en passant par les pâtes à choux, la tradition est respectée avec une pointe de fraicheur et de fantaisie. Un Saint-Honoré, oui, mais à la mangue… une tarte à l’abricot avec un peu de spéculoos, un éclair marron-poire… sans oublier le fameux flan à l’ancienne.

Les pâtisseries, Boulangerie Méline, Compiègne (60)Peut-être l’avez vous déjà goûté sans le savoir, car la recette mise au point par le Meilleur Ouvrier de France a essaimé au fil du temps. Grâce à sa cuisson au four à sole (ce qui permet de le saisir vivement) et l’incorporation de crème fraiche dans l’appareil, on obtient une texture particulièrement crémeuse… et addictive !
Le salé sait rester à sa place, avec une offre boulangère : sandwiches, quiches, pizzas, tartines… Même rigueur, même résultat : des produits gourmands et bien finis.

La Tourte Auvergnate

La Tourte Auvergnate

J’aurais peut-être dû commencer par vous parler du pain, puisque c’est bien le sujet essentiel au sein d’une boulangerie. Là encore, l’artisan a bien compris ce fait puisqu’il propose une gamme d’exception. De la tourte de Meule au pain d’Autrefois en passant par l’Auvergnate, le Complet, le Céréales et bien sûr la baguette de Tradition, les façonnages sont appliqués, les croûtes craquantes et les cuissons superbes. Le goût est à l’avenant, avec un parfum de froment et de céréales très soutenu pour la Tradition, tandis que le levain s’exprime sur les pièces rustiques avec une belle subtilité, distillant ses notes acidulées au fil de la dégustation. Les qualités de conservation sont à l’avenant, tout comme les tarifs très abordables (1 euro la Tradition, 6,50 euros/kg pour la tourte de Meule…). Sans en faire de publicité particulière, l’artisan sélectionne des matières premières de qualité, avec une partie de la production réalisée à base de farine Biologique.

Les viennoiseries

Les viennoiseries

L’intérêt et la fidélité de la clientèle passent aussi et surtout par une remise en question permanente, par l’apport de nouveautés, ce qui aboutit à une véritable dynamique positive. Régulièrement, la gamme de viennoiseries accueille chez Méline des créations aussi savoureuses qu’originales : du croissant au coeur de praliné, de framboise, … au roulé pomme verte ou spéculoos chocolat blanc, les gourmands peuvent ainsi varier les plaisirs au quotidien. La créativité s’accompagne de bases solides : un feuilletage croustillant et léger, au bon goût de beurre… pour des feuillets aussi visibles que nombreux. La brioche feuilletée rencontre un vif succès, grâce à son jeu de textures détonnant.

Le "Carambar", comme un pain au chocolat, avec des éclats de nougatine... et une superbe scarification.

Le « Carambar », comme un pain au chocolat, avec des éclats de nougatine… et une superbe scarification.

Plusieurs produits sont proposés en dégustation permanente

Plusieurs produits sont proposés en dégustation permanente.

Cette fameuse dynamique se prolonge naturellement par l’accueil, agréable et efficace. La notion de partage n’est pas galvaudée, avec une dégustation permanente de plusieurs produits. Dans cette boutique, tout est transparent : du laboratoire visible au fond de l’espace de vente à l’information sur les produits, difficile de mettre en défaut la prestation fournie. Il faut dire que Carlos de Oliveira veille au grain, si l’on peut dire : on le retrouve au fournil mais aussi en boutique. Peut-être est-ce là le secret de sa boulangerie : un artisan exigeant, proche de sa clientèle et des réalités qui font le métier aujourd’hui… avec une belle ouverture sur le monde.

Infos pratiques

10 rue Solférino – 60200 Compiègne (gare de Compiègne, TER Picardie & Intercités) / tél : 0344865730
ouvert du mardi au samedi de 7h à 19h30, le dimanche jusqu’à 19h.

Avis résumé

Pain ? On sent une véritable rigueur au fournil, ce qui aboutit à des produits de haute volée. De la baguette de Tradition – craquante, moelleuse et au vif parfum de froment – aux tourtes Auvergnates ou de Meule, subtilement relevées par un levain très maîtrisé, difficile de mettre en défaut les pains proposés ici. Cela se retrouve dans les façonnages et les cuissons… car on achète avant tout avec les yeux. Grâce à ces efforts et à une sélection rigoureuse des matières premières, on aboutit à des produits savoureux et offrant une excellente conservation.
Accueil ? Sympathique et dynamique, il a à coeur de faire partager les produits mis au point dans le fournil ouvert sur la boutique, par ailleurs très sobre. L’entreprise est ainsi très cohérente et l’ensemble du personnel est impliqué dans une dynamique de satisfaction pour le consommateur.
Le reste ? Les viennoiseries croustillent et mélangent harmonieusement les saveurs. Si le croissant (0,90 centimes seulement !) séduit par son parfum de beurre, les plus curieux se tourneront vers les créations : roulé pomme verte ou spéculoos chocolat blanc, pain au chocolat-nougatine, … Le reste de l’offre sucrée est à l’avenant avec des pâtisseries associant tradition et créativité avec élégance. Ne pas rater le fameux flan à l’ancienne et sa texture très crémeuse.

Faut-il y aller ? Bien sûr. Avec sa boulangerie Méline, Carlos de Oliveira est complètement… dans la course, sur le chemin de l’hippodrome. L’artisan réalise ici une équation idéale entre un emplacement central, des produits de haute qualité et des tarifs accessibles. Si les boulangers perdent un excellent formateur et consultant, les compiégnois ont gagné une excellente adresse !

Quand on commence à jouer à un jeu, on en apprend les règles. Cela a toujours été ainsi, et j’espère que ça ne changera pas. Dans la vie, c’est la même chose : notre société est régie par un certain nombre de codes, qui nous permettent de vivre en communauté.
En boulangerie, on compte parmi ces fameux règlements l’observation d’un jour de fermeture hebdomadaire. Dans ce métier physique, où les équipes sont soumises – aussi bien en production qu’en vente – à des rythmes de travail soutenus, le maintien d’une telle pratique me paraît indispensable. Elle l’est d’autant plus qu’elle protège les artisans indépendants : si demain l’on autorise une ouverture 7j/7, les plus fragiles d’entre eux ne pourront pas prendre le pas et seront happés par des grosses structures, dotées d’équipes en roulement.

Seulement, quelques petits malins semblent avoir décidé d’écrire l’histoire à leur façon, en mettant de côté leurs obligations et en faisant fi de toute considération envers leurs confrères. C’est ainsi que les boulangeries Feuillette se distinguent : la plupart sont en effet ouvertes tous les jours de la semaine. Une pratique à laquelle la chambre syndicale devrait, à mon sens, mettre fin. Pourtant, l’entreprise multiplie les points de vente sans être inquiétée. Que fait la police ?

La boulangerie Feuillette de La Chaussée Saint-Victor, aux portes de Blois. Non, nous ne sommes pas sur la côte comme la terrasse et son agencement pourraient le faire croire !

La boulangerie Feuillette de La Chaussée Saint-Victor, aux portes de Blois. Non, nous ne sommes pas sur la côte comme la terrasse et son agencement pourraient le faire croire !

Boulangeries, vous dites ? Rendez-vous à La-Chaussée-Saint-Victor, en proche périphérie de Blois, pour découvrir le concept développé par le couple Feuillette. Les deux époux sont issus d’un cursus de pâtisserie, et sont passés par de grandes maisons. Ladurée, Pierre Hermé, Georges V, Claude Bourguignon, … un parcours exemplaire avant de poser leurs bagages dans le Loir-et-Cher. Très vite, leur ambition dévorante les pousse à grandir et à quitter le centre-ville pour privilégier les emplacements d’entrée de ville, où ils déploient des espaces de vente particulièrement spacieux, avec un décor et une identité particuliers. Dès notre arrivée, on constate que l’enseigne veut montrer son ancrage dans la « tradition » en affichant les portraits d’illustres ancêtres, comme si cela représentait un quelconque gage de qualité.

Le parking, véritable nerf de la guerre pour l'enseigne.

Le parking, véritable nerf de la guerre pour l’enseigne.

Rien à redire sur le concept : c’est bien exécuté et on comprend rapidement que tout a été pensé pour le rendre particulièrement rentable. Une gamme de pains très courte, recentrée sur la baguette de Tradition tarifée à 0,95€ avec une gratuité pour 3 pièces achetées, beaucoup de snacking en semaine et des pâtisseries plus élaborées le week-end. Ajoutez à cela un parking, beaucoup de place pour consommer sur place, des éléments rassurant le consommateur (fournil visible depuis la boutique, des spécialités « maison » telles que la brioche feuilletée…) et un service plutôt dynamique, jeune et souriant. Cela fait illusion et satisfait sans doute de nombreux consommateurs, parfaitement solubles dans le discours marketé de la maison Feuillette.

La baguette de Tradition

La baguette de Tradition

Preuve en est que M6 y a amené ses caméras l’an passé. En effet, l’émission « La Meilleure Boulangerie de France » avait fait escale à La Chaussée Saint-Victor suite l’inscription de la boulangerie par les clients, et sa sélection par la production. Le discours passionné de Jean-François Feuillette aura sans doute fait illusion quelques temps, mais la réalité est bien différente. La vocation de l’entrepreneur en s’approchant du métier de boulanger (auquel il a été formé par le biais d’un cursus accéléré, rappelons-le) tient plus au caractère lucratif du métier qu’à un quelconque amour profond du pain.

Les Feuillette n'ont pas fait dans la demi-mesure pour l'aménagement de leur boutique de la Chaussée Saint-Victor... quitte à en tomber dans des travers douteux, à l'image de la cheminée artificielle.

Les Feuillette n’ont pas fait dans la demi-mesure pour l’aménagement de leur boutique de la Chaussée Saint-Victor… quitte à en tomber dans des travers douteux, à l’image de la cheminée artificielle.

Des preuves ? En faut-il vraiment ? Installons-nous au coin du feu – tout aussi artificiel que le reste – pour découvrir les produits Feuillette. En bref, feuilletons le catalogue Feuillette. Tout un programme.
Le produit d’appel que représente la baguette de Tradition, réalisée à partir d’une farine livrée par Axiane Meunerie, affiche un visuel aussi sobre qu’attirant. Façonnage mécanique, coup de lame unique, aucune prise de risque pour faire exécuter la recette à des boulangers souvent peu expérimentés. Techniquement, tout y est : croûte craquante, mie légèrement grasse et bien alvéolée… reste le goût, assez neutre. On peut tout de même reconnaître le fait qu’achetée en lot – 2,85€ les 4 pièces -, ce produit offre un rapport qualité/prix satisfaisant.

Le fournil est bien mis en avant pour rassurer le consommateur sur le caractère artisanal de la production.

Le fournil est bien mis en avant pour rassurer le consommateur sur le caractère artisanal de la production.

Le reste de la gamme boulangère fait de la figuration. Les variations autour des fruits secs (noix, noisettes) ne présentent pas beaucoup d’intérêt – et leurs tarifs s’envolent rapidement, atteignant les 8,20€ le kilogramme ! -, tout comme la ciabatta qui se résume à un pain moelleux à l’huile d’olive, loin du produit réalisé par certains artisans.

Les viennoiseries sont de qualité très médiocre. La brioche feuilletée, érigée en spécialité de la maison, ne fait pas beaucoup mieux tant elle est riche et mal équilibrée en saveurs.

Les viennoiseries sont de qualité très médiocre. La brioche feuilletée, érigée en spécialité de la maison, ne fait pas beaucoup mieux tant elle est riche et mal équilibrée en saveurs.

Pour le reste, il n’y a pas beaucoup de questions à se poser. Les produits sont attirants à l’oeil, que ce soit en pâtisserie ou qu’il s’agisse de la brioche feuilletée, vantée pour être la spécialité de la maison. En bouche, c’est une autre affaire. Les notes de gras et de sucre ont tendance à s’exprimer plus que les parfums que l’on serait en droit d’attendre… mais il ne s’agit en définitive que du goût « standard », auquel nous avons été habitués depuis bien des années. L’entreprise ne fait que reproduire des recettes qui fonctionnent, et le succès de leurs produits ne pourrait leur donner tort. C’est ainsi que l’on économise sur les matières premières, pour aboutir à des affaires sans doute plus florissantes. Est-ce ainsi que nos artisans doivent agir ?

Le week-end, la vitrine pâtisserie est bien garnie.

Le week-end, la vitrine pâtisserie est bien garnie.

Si de telles pratiques n’avaient pas d’impact sur le reste de la profession, on pourrait tout simplement faire le choix de les ignorer, et se contenter de laisser le consommateur seul juge pour son acte d’achat. Seulement, les choses ne sont pas aussi simples : un artisan confronté à une concurrence agressive n’a pas toujours les moyens d’y répondre de façon sereine. Dès lors, il est souvent tenté de se positionner en concurrence frontale, et donc de reprendre les mêmes codes.
Un bon exemple est celui de Christian Nardeux, lequel possède plusieurs affaires dans le secteur de Tours. Une boulangerie Feuillette s’est installée récemment à Saint-Cyr-sur-Loire, soit à proximité de l’une de ses boutiques. Sa réaction ? Faire du 3+1 à son tour. C’est ainsi toute la profession qui est tirée vers le bas. En se détournant des préoccupations fondamentales de qualité pour engager une guerre des prix et de compétitivité, elle ne pourra plus faire face à la concurrence industrielle sur le long terme.

Christian Nardeux est également livré en farine par Axiane Meunerie. Certains acteurs de la profession savent ouvrir le robinet à farine sans ménagement.

Christian Nardeux est également livré en farine par Axiane Meunerie. Certains acteurs de la profession savent ouvrir le robinet à farine sans ménagement.

Je ne doute pas cependant de la capacité du couple Feuillette à tirer son épingle du jeu. Bien plus que la passion du métier d’artisan, ils ont développé une véritable fibre entrepreneuriale qui parviendra sans doute à développer leur marque. Au point de convaincre de nouveaux partenaires de les rejoindre, au travers d’un système de franchise. Il faudrait donc parfois savoir oublier d’où l’on vient pour arriver où l’on veut. Le constat est aussi triste que réel.

Infos pratiques

Toutes les adresses et informations sur le site internet de l’enseigne : http://www.feuillette.fr