Non classé

17
Jan

2024

Une folle aventure

Quand vient l’heure de la fin, il est parfois difficile de savoir par où commencer. Les mots manquent pour décrire ce qui représenta 10 ans de ma vie : bien plus que d’écrire quelques mots sur un espace numérique, le painrisien m’aura changé, fait grandir, donné envie d’explorer de nouveaux horizons.

Deux ans après le dernier billet publié ici, je reviens pour une dernière fois. Hors de question en effet de laisser ce goût d’inachevé après tant de chemin parcouru ici mais aussi dans les rues de Paris, dans les fournils de France, auprès de tous ces professionnels qui ont partagé avec moi bien plus qu’un morceau de pain. Parfois les échanges ont été rudes, et si je dois reconnaître des erreurs sur la forme, la sincérité de mon engagement et de mes convictions n’aurait pu être remise en cause.

Je laisse un peu de moi dans ce renoncement : j’ai longtemps pensé que je reprendrais le cours de mes aventures ici, vous partageant mes pensées sur le secteur de la boulangerie-pâtisserie aussi librement que j’ai pu le faire par le passé. C’était une illusion. Il faut aussi savoir renoncer pour imaginer autre chose, sans jamais oublier : je ne suis plus celui qui, un jour de 2011, s’est lancé naïvement à la conquête d’un univers aussi familier du public qu’obscur dès lors qu’il s’agit d’en découvrir les rouages. J’ai été impatient parfois, curieux toujours, je n’ai jamais abandonné. Je n’abandonne pas.
Je voulais une dernière fois vous remercier, vous tous : ceux qui m’ont apprécié, ceux qui m’ont bousculé, parfois de façon vive. En arrivant ici, j’aimais le produit, cette savoureuse conséquence de la rencontre d’un savoir-faire millénaire et de la beauté de la nature. Je repars en aimant les femmes, les hommes, qui sont à l’origine de toute cette magie. Je vous aime – et cet amour m’oblige, non seulement à vous respecter, mais à m’améliorer toujours pour accompagner les mouvements qui vous traversent.
Ce n’est pas un point final. C’est le début de milliers d’autres histoires. Merci.

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30
Jan

2022

Chemins de traverse

Il est encore temps pour les voeux, et je deviendrais presque habitué des rattrapages in-extremis tant j’ai été dilettante ici ces dernières années. Bonne année 2022 à chacun d’entre vous. J’aimerais vous souhaiter la santé, le bonheur, 365 jours de découvertes et de plaisir, sans bien savoir si aucun de ces voeux pourra se réaliser. Dans un contexte anxiogène et incertain, il faut parfois s’accrocher aux petites choses qui offrent un peu de chaleur, aux petits instants de douceur. J’avoue y avoir renoncé depuis longtemps pour moi-même, sans doute dans une forme de paresse et de renoncement, qu’il soit justifié ou non.

Certains événements et opportunités nous font oublier le sens de nos engagements, nous détournent de l’essentiel et de ce qui a réellement du sens. Laissons les belles promesses à ceux qui les formulent, quittons ces chemins de traverse et écrivons d’autres histoires.

En 2021, j’ai fait le choix de mettre de côté une activité qui avait contribué à me faire vivre pendant plusieurs années. Je pense qu’il est à présent grand temps de donner un élan tout particulier à ma nouvelle activité, nommée painfluence. C’est le prolongement de mon engagement auprès de la filière, entretenu depuis plus de 10 ans. J’ai déjà le plaisir d’accompagner plusieurs artisans au quotidien dans une mission indispensable : développer leur identité et leurs valeurs, créer un projet moderne, durable et cohérent pour chacun d’entre eux, sans jamais céder à la facilité de la standardisation des solutions.
Pour cette nouvelle année, je veux aller plus loin et développer ces outils précieux pour la pérennité de la boulangerie artisanale, tout en mettant l’accent sur leur accessibilité au plus grand nombre.

Ce n’est pas une raison d’abandonner painrisien. Je suis attaché à cette belle histoire et je suis plus que jamais convaincu que la filière a besoin de cet outil de diffusion d’une parole libre, sincère et engagée. Comptez sur moi pour lui donner l’énergie et le temps nécessaires en 2022.

Rémi

Il n’y a rien de mal à se tromper, au contraire : l’erreur peut être source d’apprentissage et de création. Les meilleurs exemples restent sans doute les délicieuses Bêtises de Cambrai (ou pas), les céréales Kellog’s entre autres innovations issues d’une faute de leur inventeur. Seulement, dans certains cas, quand l’erreur est répétée sans aucune forme d’apprentissage, elle devient coupable et doit être combattue. C’est bien plus facile à dire qu’à faire tant les raisons de regarder ailleurs sont nombreuses, à commencer par la difficulté de se remettre en question, l’appât du gain immédiat, voire même notre incapacité à prendre du recul et ainsi comprendre que l’on se situe dans le faux. Pourtant, rien ne nous interdit de passer en revue nos actions et ainsi que de les soumettre au filtre exigeant de la morale, de l’intérêt collectif ou du principe de durabilité… mais pour s’y contraindre, encore faut-il mettre de côté son égo et développer une véritable bienveillance (non feinte et galvaudée, n’est-ce pas !) vis à vis de l’autre. En sommes-nous encore réellement capables ?

A cette question j’ai une réponse simple : pour la « grande » meunerie, c’est tout simplement non. Il ne faut pas aller bien loin pour trouver des éléments permettant de s’en convaincre.
J’ai pris le temps d’arpenter dernièrement les allées du SIRHA 2021, et si j’y reviendrai peut-être plus en détail prochainement, on pouvait dégager une tendance nette chez les acteurs que sont les groupements meuniers, et donc dans une certaine mesure leurs partenaires ingrédientistes : pour répondre à la pression exercée par les consommateurs et une partie des artisans, ils développent à présent des préparations « clean label », autant pour les nouvelles références que pour les anciens produits qui se voient reformulés.

La présentation des « farines composées », issue de la dernière lettre d’information de Nicot Meunerie.

Ainsi, le groupement Banette veut faire oublier le terme de « pré-mixe » pour le remplacer par celui de « farine composée ». Ce changement d’appellation est le fruit de la défiance développée autour de ces préparations, fréquemment pointées du doigt par les médias et donc par l’opinion publique. Le Comptoir Meunier, dirigé par Fabien Faisy et situé au coeur de l’entreprise Banette à Briare (45), a ainsi engagé un travail pour améliorer la composition des produits de la gamme avec plus « d’exigence et de transparence dans la sélection des ingrédients »… et bien sûr de nouveaux sacs de farine « plus proches des valeurs artisanales » (sic), la machine marketing fonctionnant toujours à plein régime.

Naturalité, qualité… Festival a décidément tout compris. Ou seulement oublié l’essentiel.


Même son de cloche du côté de Festival des Pains, qui était fière de présenter la nouvelle mouture de sa Festival, ou baguette de pain courant pour les non-initiés, « retravaillée pour plus de naturalité et des pains de qualité ». Au programme, un… festival de bonnes nouvelles : sans gluten ajouté, sans acide ascorbique de synthèse (donc certainement remplacé par de l’acérola), blés de force 100% français, « méthodes alternatives de stockage des blés ». Autant dire que le groupement de 33 meuniers s’est démené pour mettre au point un produit de haute volée… ou tout simplement conforme aux nouveaux standards du marché.

Les Grands Moulins de Paris se sont pris de passion pour le Bio et les labels de qualité… après les avoir ouvertement critiqués, remettant en cause leur intérêt pour les artisans et les consommateurs, notamment lors de l’abandon du Label Rouge pour la farine de Tradition Grand Siècle.

Cela ne tranche pas avec la tradition meunière bien implantée qui consiste à « accompagner » l’artisan boulanger en lui fournissant des solutions nécessitant le moins de savoir-faire possible, et permettant d’entretenir un lien de dépendance continu avec ces barons, lesquels verraient d’un mauvais oeil une tentative durable d’affranchissement de leurs cerfs. C’est d’autant plus vrai qu’adopter une autre logique, en agissant réellement de façon durable (je souris quand je lis le crédo de « présence durable » dans la communication Festival des Pains) et pertinente, nécessiterait autrement plus d’efforts et de moyens, autant financiers qu’humains. Banette s’y est essayé en lançant des stages de perfectionnement travaillant des farines brutes et visant à réintroduire le « fait maison » (en partenariat avec le MOF Joël Defives, décidément apte à être omnipotent) et on peut le saluer… mais cela demeure tout bonnement anecdotique à l’échelle des enjeux auxquels le métier doit faire face. Chez Festival, l’Ecole de Boulangerie Artisanale aurait bien besoin d’être mise sur ce chemin, comme je le détaillais dans un de mes billets précédents.

On pourrait se contenter de regarder ces faibles sursauts, qui ressembleraient presque aux réflexes post-mortem et derniers mouvements d’un corps sans vie, en se disant que l’histoire est en marche et que les progrès du métier réalisés ces dernières années, notamment en terme de regain d’intérêt sur les fermentations, les farines « atypiques » et/ou issues de filières « vertueuses » entre autres bonnes pratiques, parviendront à finir emmener un maximum de monde dans cette belle barque menant vers un monde meilleur… ou plus proche, un meilleur pain. Seulement l’histoire n’est pas écrite : il faut bien voir que des passagers clandestins sont montés à bord et veulent à présent influer sur la trajectoire.

Regardons le pain Biologique : il s’est initialement développé grâce aux convictions de quelques artisans visionnaires, qui croyaient au retour de méthodes de fabrication plus respectueuses du produit, avec une farine issue de céréales cultivées dans le respect du cahier des charges de l’Agriculture Biologique. Cela se faisait avec du levain naturel, avec parfois des résultats très acides ou peu concluants du fait d’un certain manque de technique et de soin, mais on ne pouvait pas mettre en défaut la sincérité de la démarche ni sa cohérence. Aujourd’hui, les choses ont changé : le label Bio est devenu tendance, et un nombre important de meuniers et boulangers l’ont intégré dans leur gamme. Si bien que la vision du pain initialement développée dans cette filière devient trop contraignante aux yeux de certains, qui vont chercher à utiliser l’image positive associée au fameux logo vert… avec des solutions prêtes à l’emploi, nécessitant peu de savoir-faire au fournil.

Pour leur première participation au SIRHA, les Moulins Familiaux n’étaient pas venus les mains vides : ils présentaient leur nouveau Vertubio… avec un marketing trompeur : « recette élaborée par votre artisan boulanger », ce qui est complètement faux puisqu’il s’agit d’une préparation prête à l’emploi, sur laquelle il n’intervient en définitive que très peu.

Nos yeux et nos pensées se tournent naturellement vers les ingrédientistes (Eurogerm, Millbäker, Ireks, Complet…) ou les grands meuniers quand il s’agit de ce type de produit. Bien sûr, ces derniers ont développé depuis plusieurs années des mélanges labellisés : le fameux Bucheron se décline en Bucheronette, les Grands Moulins de Paris possèdent plusieurs références dans leur catalogue (ici ou , par exemple)… mais cela touche tout autant des acteurs à l’identité plus « artisanale ».
Les Moulins Familiaux se sont saisis du sujet de la nutrition avec les pains Vertueux ou Vertuchok, particulièrement riches en fibres. Ces mélanges ont à présent leur déclinaison Biologique avec le Vertubio, présenté dernièrement. Réalisé à partir de farine de blé T150 Bio, de 12% de farine de pois chiche et de graines, ce produit nutri-scoré A souhaite répondre aux attentes exprimées par les consommateurs en terme de mieux-manger avec ses allégations « riche en fibres » et « source de protéines végétales »… Demeure cependant, à mon sens, le goût très clivant de ces références… en plus du fait qu’il me semble essentiel de traiter du sujet de la fermentation pour développer des pains nutritifs : l’emploi de levain naturel et la mise en oeuvre de longs pointages trouve tout son sens… alors qu’il n’en est pas question avec ce type de mélange, destiné à être utilisé dans le cadre d’un processus simplifié. Le Vertubio rejoint donc une gamme bien fournie de préparations, qui sont des copies conformes des références « conventionnelles » : Graines d’or ou Maïs d’or… au final, il n’y a que le boulanger et son client qu’on… endort.

Le constat est similaire du côté des Moulins Bourgeois, qui vante avec force ses nouvelles créations Bio : le pain de la Roche, pain aux deux épeautres ou encore pain de la Forêt Noire… lesquelles incorporent des levains déshydratés (!) et sont destinées à être fermentées à la levure.

Extraordinaire… sans doute dans la tête des marketeux au service du groupe Monoprix, mais beaucoup moins en réalité.

Tout cela confine à des tentatives de green-washing, ou pire à de l’enfumage, comme l’ont fait de grandes enseignes de distribution en lançant leurs pains Bio fabriqués en industrie puis transportés en froid négatif : on manipule le consommateur par l’usage des labels de qualité, alors même que les procédés de transformation n’ont rien de qualitatif. Toute la filière Bio en ressort perdante, puisque l’on tire le niveau vers le bas tout en contribuant à donner une mauvaise image de la démarche par la commercialisation de produits aux qualités gustatives et de conservation limitées. Une logique respectueuse de l’ADN de pain Bio aurait été de continuer à encourager l’emploi du levain naturel… mais c’était sans compter sur les velléités toujours plus marquées de ces bulldozers meuniers de déployer sans fond ni limite.
Cela pose plusieurs problèmes, à nouveau : l’uniformité des pains et des saveurs, la dépossession du savoir-faire propre à l’artisan… autant de points sur lesquels nous avons aujourd’hui du recul et une expérience qui devraient nous pousser à abandonner ces pratiques plutôt que de sans cesse remettre un jeton dans la machine. Encore faudrait-il, pour cela, avoir une réelle capacité à tirer des leçons du passé. Le chemin sera long pour y parvenir.

Mangez des mixes, ça rend beau et musclé !

Doit-on passer nos existences à se comparer aux autres, comme s’il n’y avait pas d’autres façons de co-exister, comme si la compétition était quelque chose de sain et naturel ? Cela trouve sans doute des racines très profondes dans nos cultures, et ce schéma est reproduit dès le plus jeune âge, notamment dans nos écoles françaises où le système de notation et autres plaisirs associés induit ce type de concurrence.
Certains y voient une occasion de se surpasser, d’essayer de faire toujours mieux. A mon sens, il ne pourrait y avoir de pire ressort que cette volonté d’écraser l’adversaire, même si cela fonctionne dans les faits. On peut aussi chercher à s’améliorer pour l’autre, pour l’intérêt collectif, et non pas uniquement pour défendre ses couleurs. Ce serait peut-être ça, la vraie bienveillance, plutôt que celle dont on entend si souvent parler sans jamais en voir les fruits.

En raisonnant ainsi, les concours n’auraient plus lieu d’être. Il est possible que je sois alors un des rares à m’en réjouir tant ces événements sont scrutés, à la fois par les participants, les organisateurs et les simples spectateurs que forment le ‘grand public’. Pourtant, je persiste à penser que le secteur de la boulangerie-pâtisserie en serait profondément assaini : il n’y aurait plus que sa clientèle à satisfaire, et ce tous les jours de l’année… et quel meilleur juge que celui qui fait l’effort de se rendre en boutique et de payer pour un produit ? Bien sûr, on peut toujours remettre en question son (bon) goût, lui trouver tous les défauts du monde. C’est pourtant ce fameux client qui fait vivre les entreprises…

… quoique une récompense peut bien y contribuer, et certains petits malins l’ont bien compris. Cette année encore la fameuse loterie nommée Grand prix de la Meilleure Baguette de Tradition de la Ville de Paris avait lieu, exceptionnellement en septembre, situation sanitaire oblige. Les vainqueurs ont été annoncés il y a quelques jours, avec les retombées médiatiques habituelles. J’ai suivi avec un certain amusement l’émotion et l’admiration des journalistes vis à vis du boulanger Makram Akrout, ancien sans-papiers d’origine tunisienne. Si l’on avait voulu donner une image du métier d’artisan boulanger où l’amour de la diversité, la capacité à servir d’ascenseur social, … on n’aurait vraiment pas mieux fait. Les petites mains habiles ayant participé à l’événement ont décidément été bien inspirées…

à cela près qu’il existe une sérieuse ombre au tableau. Quand on s’intéresse à la société les Boulangers de Reuilly -laquelle a été primée-, dont Makram Akrout est président, plusieurs détails ont de quoi interpeller : Fabrice Leroy en est directeur général et possède 50% des parts. Or ce nom n’est pas inconnu de ceux qui s’intéressent à la boulangerie parisienne : l’artisan, installé au 203 avenue Daumesnil (soit… juste derrière), a remporté le même prix en 2019. Depuis, il s’est développé et a acquis une boutique dans le 14è arrondissement, puis la dernière au 54 boulevard de Reuilly en début d’année (alors que son associé prétend dans les médias avoir acquis cette entreprise en 2020… sans doute l’émotion). Autant dire que pour cet ancien employé de la SNCF, la boulangerie est une affaire… qui roule.

Les bonnes affaires de Fabrice Leroy : il est propriétaire de deux boulangeries situées l’une derrière l’autre.

Seulement, comme pour toute farce… concours, pardon, un règlement est présenté aux participants et ces derniers doivent s’y plier : il est précisé dans l’article 3 que le lauréat ne pourra plus concourir pendant 4 ans. Or, dans la présente situation, on peut considérer que Makram Akrout n’était pas seul à concourir en représentant la société Les Boulangers de Reuilly : son associé retirera forcément les bénéfices de cette situation, de par l’accroissement du chiffre d’affaires ainsi généré. Dès lors, il y a eu un manque, voire une absence, de contrôle pour vérifier que l’artisan avait bien le droit de présenter ses baguettes. A qui la faute ? La mairie ou le syndicat ? Peu importe, en définitive, car le résultat est là. Il y aura sans doute des enseignements à tirer de cette situation, et j’espère que les personnes concernées le feront.
Pour le reste, à chacun de juger des qualités du produit en question et des aptitudes professionnelles du boulanger primé. J’ai beaucoup d’humour, mais avec le temps et l’expérience, certaines blagues ne me font plus rire, à plus forte raison quand elles se moquent aussi ouvertement des clients… à croire que le respect, que ce soit des règles ou des humains, n’est pas une denrée bien distribuée.

On traverse tous dans nos existences des moments compliqués, où l’on constate que les valeurs sur lesquelles on avait basé ses raisonnements et sa vision du monde sont lourdement malmenés par les faits. Celles qui animent ce blog sont assez claires, je n’ai jamais cherché à les marteler plus que de raison : il y a bien sûr la défense de l’artisanat, la recherche d’un vrai progrès et du sens, l’exigence et le refus des faux semblants… mais aussi et surtout l’accessibilité : à la fois rendre une boulangerie riche en savoir-faire et en engagements accessible au plus grand nombre, mais aussi faire porter des idées sans complexité ou grands mots inutiles. Cette volonté de partager m’anime depuis le début, avec un sincère désintéressement et l’absence d’arrière pensée visant à servir des intérêts obscurs. Malheureusement, rares sont ceux qui peuvent en dire autant sur l’échiquier de la boulangerie-pâtisserie.

On pourrait bien rêver que tous les artisans ne travailleraient à terme que ce genre de produit, jusqu’à occulter toute autre forme de boulangerie. La réalité est tout autre. Il ne faut jamais s’en détacher, tenter d’imposer sa vision en masquant ce qui nous dérange.

Pourtant, les artisans travaillent avec des partenaires qui -à les écouter- ne sont qu’amour du métier, animés par la ferme volonté de l’accompagner pour parvenir à l’épanouissement de chaque affaire. La réalité est tout autre, mais ce n’est pas une découverte. Cela fait quelques années que je défends ici l’idée selon laquelle la boulangerie ne perdurerait que si elle mettait un terme à ses pratiques douteuses, allant de l’utilisation de mélanges prêts à l’emploi à l’approvisionnement en matières premières bas de gamme en passant, bien sûr, par le recours à l’industrie sur certaines gammes de produits. Une frange du métier m’a donné raison en s’orientant, parfois sans concession, dans cette vertueuse direction. J’ai pensé, sans doute à tort, qu’une part importante de la profession les suivrait naturellement, et j’ai donc continué à construire mon approche et mon discours dans ce sens. Seulement, les choses sont loin d’être aussi simples. A la fois parce que bon nombre d’artisans sont réfractaires au changement et à des méthodes qui leur demanderaient plus d’implication, mais aussi parce qu’il y a une clientèle pour une forme d’alimentation répondant aux standards productivistes, uniforme et à bas coût.

Alors même que je croyais la marque complètement sortie du bois en Ile-de-France, laminée par les rouleaux compresseurs que sont les Moulins Familiaux et Bourgeois ainsi que la « meunerie discount » telle que je la surnomme (désolé à mes amis de chez Osmeaux et Dumée !), les devanture aux stores orange façon Halloween ont essaimé dans les quartiers populaires. Cela n’a rien changé à la réalité des affaires qui se trouvent derrière, ni même à la tenue souvent chaotique du magasin.

J’ai passé beaucoup de temps ces dernières semaines à observer la situation dans des banlieues populaires, et cela remet les idées en place. Il ne serait pas adapté d’en tirer des conclusions, mais cela suscite pour moi des réflexions profondes et m’amène à tracer d’autres chemins pour faire évoluer les pratiques. Avant d’en parler, l’essentiel est d’assembler des éléments permettant une lecture adaptée du paysage : on peut voir des choses sans jamais les comprendre, sans jamais en saisir l’essence.
Nous évoluons dans un environnement où la consommation n’a jamais été aussi fragmentée. C’est un reflet fidèle de notre société, où cohabitent des individus finissant par ne plus rien partager comme valeurs et habitudes. Il y a à la fois ceux qui cherchent à s’émanciper du consumérisme en privilégiant les circuits courts, les petits producteurs et les artisans locaux, ceux qui changent radicalement d’alimentation en s’orientant vers des régimes ‘sans’, ceux qui refusent les déchets et consomment donc majoritairement du vrac, … et ceux qui continuent comme si de rien n’était. Chaque catégorie peut se mélanger ou se recouper partiellement, du fait que chaque individu n’est pas exempt de paradoxes, l’engagement devenant une valeur à géométrie variable dès lors qu’il est question de remettre en question des notions telles que le confort ou le plaisir immédiat, à opposer avec la complexité induite par des pratiques atypiques et parfois stigmatisées.

Comme l’ont fait d’autres enseignes de boulangerie avant elle, La Pétrie impose sa marque et relègue l’artisan au second plan… mais elle va aussi plus loin, en poussant des concepts très marqués pour l’exploitation de l’entreprise.

La boulangerie est le miroir de cette époque troublée. Les « premiers de la classe », chantres des farines brutes et du levain naturel, ne doivent pas monopoliser l’attention ni masquer une forêt peuplée d’essences très disparates. Bien sûr, il y a une direction à impulser, celle de la réappropriation du métier par ceux qui le font. Pour y parvenir, il faut s’intéresser à ces mouvements qui parasitent une telle évolution, tout en renonçant aux injonctions et aux prophéties auto-réalisatrices.
J’ai longtemps regardé de loin le concept La Pétrie, en pensant naïvement et sans doute avec une forme de condescendance déplacée que son développement resterait circonscrit à une partie limitée du territoire. Je dois avouer que j’avais tort, car on retrouve à présent la marque et/ou ses prérogatives bien en dehors de son secteur historique de l’est de la France : le groupement tisse sa toile en Ile-de-France, au travers d’une présence en Essonne, en Seine-et-Marne ou plus sporadiquement en Seine-Saint-Denis et à Paris. Elle est également représentée dans l’Ouest, le Sud ou encore en Côte d’Or.
Dans le même temps, alors que nous étions nombreux à pronostiquer l’échec total de l’opération, des artisans se font installer des devantures Campaillette, avec leur code couleur caractéristique. Le concept magasin tel qu’imaginé dans l’implantation pilote du 14è arrondissement parisien ne semble, quant à lui, pas être déployé dans sa totalité. Seules certaines lignes directrices sont reprises par les artisans, de façon ponctuelle.

Il serait facile et confortable de balayer tout cela d’un revers de la main, en affirmant que tout cela n’est plus vraiment de la boulangerie et que tout le monde finira par revenir à la raison. Malheureusement la réalité est bien plus complexe que cela… car il s’agit d’une question de facilité. La facilité, dans les cas des devantures, de s’offrir à bon compte une image plus moderne et propre, la facilité, dans le cas d’un concept prêt à l’emploi comme La Pétrie, de construire une offre et plus largement un projet d’entreprise sans effort. Peut-on réellement en vouloir à ceux qui préfèrent prendre des raccourcis ? Sachant qu’ils ne se rendent généralement pas bien compte de la portée réelle de leur actes, non. Ils la mesurent d’autant moins que les discours des individus portant ces « concepts » sont bien rodés. C’est notamment le cas sur le fait de développer des gammes rationnelles et des tarifs abordables, deux sujets sur lesquels la Pétrie porte des préconisations très marquées. Tellement marquées et répétées que les artisans finissent par en être tristement uniformes, comme s’ils n’étaient plus maîtres de leur propre destin mais comparables à de simples franchisés.

Le dernier concept de magasin La Pétrie, reprenant les standards développés par le groupement depuis plusieurs années dans un écrin plus moderne. Il se décline également de façon personnalisée : des artisans peuvent ainsi acquérir le « concept » avec leur marque. Ils n’en sont pas moins dépendants des préparations meunières et des préceptes discutables de ces meuniers aux valeurs purement mercantiles.

Pourtant, je dois bien reconnaître que plusieurs des piliers sur lesquels reposent leur fonctionnement sont pertinents sur plusieurs aspects, et participent activement au succès de la marque. Il y a bien sûr le développement de gammes rationnelles, avec quelques produits « phare », permettant de limiter la masse salariale et facilitant donc la gestion de la structure, en plus de la rendre plus solide. Les éléments de commerce sont également bien présents, avec une attention portée au prix du produit : la « star » de leurs baguettes, la Pétrisane, est généralement affichée à 1 euro pour une baguette de 300g, ce qui la rend particulièrement peu chère. La conception des agencements participe au dynamisme commercial de la boutique : force de la grille à pains où les baguettes sont extrêmement visibles, éclairées par des spots directionnels qui participent à faire illusion sur la qualité du produit, viennoiseries moelleuses (dont la délicieuse Briotine (sic), qui n’a rien à envier aux produits industriels avec sa texture pâteuse et son goût si particulier) placées au plus près du client en libre-service, … Etre artisan boulanger c’est aussi savoir faire du commerce, et donc offrir à sa clientèle une expérience de vente agréable (ou du moins en phase avec les attentes). Ces gens-là l’ont bien compris, comme de nombreuses grandes enseignes.

Le développement d’une enseigne telle que Marie Blachère, même si l’on peut disserter des heures sur la qualité de ses produits, prouve bien qu’il y a une clientèle pour ce type d’offre.

L’analyse doit se poursuivre du point de vue du client : qu’on le veuille ou non, il y a bien une demande pour ce type de produit. A la fois pour des consommateurs centrés sur le prix, mais aussi pour une frange de la population pleinement habituée à ce type de pains et autres gourmandises, lesquelles sont souvent d’une origine douteuse, légèrement industrielle : l’uniformisation du goût et la présence massive ont fait leur oeuvre. Ainsi, on peut sincèrement trouver que la Pétrisane, avec sa forte élasticité et sa croûte caractéristique, la baguette Ange ou Marie sont de bons produits. C’est un fait et il sera de plus en plus avéré dans des secteurs où l’offre artisanale est de piètre qualité ou bien a complètement cédé à ce type de procédés.

Le temps que j’écrive ce billet (non, cela n’a pas mis un an malgré mon rythme de publication erratique !) cette boulangerie-restaurant située dans un centre commercial du 13è arrondissement parisien avait basculé des farines Moulins Bourgeois au concept La Pétrie. Quoiqu’on en dise, le résultat est convaincant : le pain a gagné en visibilité grâce à la mise en avant des baguettes dans le style typique La Pétrie, alors qu’il était complètement noyé auparavant.

Entendons nous bien : je pense que des groupements agressifs tels que la Pétrie ont une avenue devant eux. Ils peuvent se reposer sur la faiblesse des convictions entretenues par les artisans, mais aussi l’incapacité chronique de leurs concurrents à construire une offre aussi claire, percutante et cohérente puis à la déployer auprès de leurs forces de vente. Nous avons une responsabilité collective pour faire face au péril d’une uniformisation encore plus marquée de l’offre boulangère.
Elle se décline sur plusieurs niveaux : tout d’abord en meunerie, qui reste le partenaire privilégié des artisans. Les rares acteurs sincères et réellement engagés au service des artisans doivent se mettre au niveau et cesser de considérer que le service réside simplement en quelques formations et autres démonstrations à l’intérêt limité, la reproduction en entreprise restant anecdotique. C’est dans la conception de l’offre produits et son déploiement par les forces de vente qu’il faut faire la différence : en effet, les commerciaux ont vocation à devenir de véritables ambassadeurs du changement, en se préoccupant réellement de l’exploitation de leurs clients. De par leur position, ils peuvent apporter des éléments concrets de lecture du marché et générer de la réflexion, puis de l’action, chez les artisans.

Sommes-nous condamnés à voir se développer de tristes boulangeries en bordure d’axes passants ?

Ces mêmes artisans-entrepreneurs doivent quant à eux parvenir à transformer leurs entreprises en véritables lieux de culture : culture de l’artisanat, culture du goût, culture du produit et de l’humain. On a trop longtemps abordé le métier avec légèreté alors que ce qui se passe au quotidien au sein d’une boulangerie est un fait d’importance : ces véritables héros du quotidien que sont les boulangers transforment la matière et se font les passeurs d’une chaine de savoir-faire, allant du champ à l’assiette. C’est difficilement entendable pour beaucoup mais il sera nécessaire de se rapprocher des fondamentaux que sont les grains et l’ensemble des matières premières, cassant la banalité dans laquelle les ont enfermés meuniers et autres grossistes. Cet esprit de « culture » ne peut exister derrière une enseigne : c’est incompatible, car le marketing, les affaires et le commerce prédominent sur les éléments de métier.
Cette transformation ne pourra se mettre pleinement en marche que si la formation initiale des professionnels y participe. Là encore, la notion de culture devra prédominer : inculquer les valeurs qui doivent être celles d’un artisan boulanger, lui apporter des éléments de compréhension de l’environnement concurrentiel, et bien sûr cesser de brader les diplômes en réintroduisant un véritable enseignement technologique permettant d’aboutir à des artisans prêts à exercer dans le respect des règles de l’art.

Il faudra aussi leur faire comprendre, comme d’ailleurs aux individus déjà présents sur le marché, que les emplacements particulièrement en vue ou situés dans des secteurs huppés ne sont pas forcément les meilleurs : le propre de la boulangerie est avant tout de nourrir le peuple… et pour cela, quoi de mieux que de s’installer au coeur de zones résidentielles, y compris les plus populaires d’entre elles ? A mon sens, nous devons simplement cesser de vouloir faire de la « boulangerie haut de gamme », réservée à un cercle d’heureux élus, et arrêter de considérer que créer des entreprises hors sol, au milieu de zones commerciales, a un sens pour le métier et son environnement. Les banlieues et zones rurales ne font pas rêver nos grosses têtes de la boulangerie, pourtant c’est bien ici qu’il y a un vrai enjeu et que nous devons organiser la résistance face à l’industrie et aux marques nationales. Parvenir à y faire vivre une vision engagée et riche en savoir-faire du métier, c’est la meilleure façon d’y répondre et d’écrire un autre avenir que celui que certains esprits chagrins nous promettent. Seulement, il faudra mettre de côté l’égo, le clinquant et la ferme volonté de faire une démonstration de sa réussite personnelle.

La délicieuse Briotine, dont les caractéristiques sont directement inspirées des produits industriels comme me l’avait si fièrement raconté un commercial la Pétrie : mâche pâteuse et texture cartonneuse, elle participe à faire des artisans les relais d’une culture du goût uniformisée, et les place au même niveau que les grandes marques.

Le chemin sera long, tortueux, et il y a bien des chances qu’il finisse par être coupé par les autoroutes et autres voies rapides que tracent ces chantres du (faux) progrès et du gain facile… mais nous ne pouvons pas laisser faire – parce que l’intérêt qui se profile ici nous dépasse : collectif, grand et profond, participons-y pour enfin faire cesser cette belle vie périphérique de toutes ces tristes enseignes.

Une boulangerie La Pétrie, installée en pied d’immeuble d’un programme récent à Saint-Michel-sur-Orge : c’est typiquement ce type de banlieue populaire que semble cibler le groupement… et je dois avouer que c’est bien vu.
Voilà un entrepreneur qui a tout compris : il a empilé dans sa boutique les dérives de la boulangerie « moderne ». Ouverture 7j/7, choix d’une enseigne nationale (Campaillette), promotion permanente (particulièrement généreuse et même illégale car incompatible avec la loi EGALIM), placée en bord de route… Il faut dire que les lieux doivent être habités par l’amour du métier : pour les plus renseignés, ces murs abritaient précédemment une boulangerie Saint-Honoré/Wilson du fameux Jonathan Griguer. L’entreprise s’étant effondrée après plusieurs années de déboires, les boutiques ont été reprises par divers « artisans ».

Dans une ville habituée aux changements et transformations, certains secteurs de Paris semblent se préserver de l’agitation ambiante grâce à éléments solides de leur paysage, ainsi qu’un certain état d’esprit. Seulement, il faut bien savoir que rien n’est éternel, et accueillir l’inconnu avec une certaine dose de curiosité et de bienveillance… au risque d’aller de tristesse en désillusions. Ce qui est plus rare, c’est d’observer au même moment une transformation complète du paysage local d’un métier, alors même que ses piliers semblaient tenir solidement depuis plusieurs dizaines d’années.

En boulangerie, il faut s’attendre à ce que ce type de mouvement brutal s’amplifie dans les prochaines années, avec la fin d’une génération d’artisans ayant connu les grandes heures de la boulangerie parisienne. Certains ont déjà commencé à céder leurs affaires « par appartement », alors même que l’on ne mesure pas encore les traces laissées par une longue crise sanitaire, laquelle n’a pas encore fini d’imposer son tempo aux entreprises.
Le 15è arrondissement a connu ces dernières années son lot de mutations de fonds de commerce, avec des affaires attirant souvent de nouveaux entrants sur le marché. Le caractère résidentiel du secteur a en effet de quoi être attractif, même si certains emplacements sont d’une qualité très discutable, avec une viabilité limitée à moyen terme.

Pourtant, il persistait dans ce que l’on pourrait nommer le « village Cambronne » une forme de duopole où co-existaient les familles Pichard et Dossemont. Chacun avait son lot d’habitués, leurs produits étant suffisamment différents pour cibler des clientèles distinctes. L’été 2021 aura mis un terme à cette situation, avec le départ simultané des deux dynasties boulangères… L’une étant maîtresse de son destin, à l’inverse de l’autre.
Les Dossemont ont en effet vendu leur affaire après 28 ans de bons et loyaux services. C’est la Maison Landemaine, laquelle continue à faire son étrange marché sur la place parisienne, qui prendra possession des lieux après d’importants travaux en cours dans la boutique… tout en ayant au préalable négligé l’accord passé avec leurs collègues de la rue Cambronne : ils se relayaient pendant les congés d’été, l’un fermant en juillet et le second en août. A l’heure actuelle, toutes les boulangeries de la zone sont fermées, mis à part le corner La P’tite Boulangerie au sein du MyAuchan situé à proximité immédiate. De quoi convaincre la clientèle du soin porté par les artisans boulangers à leur attention, s’il le fallait encore.

Pour leur départ, les Pichard ont laissé un message au lyrisme quelque peu douteux, mais fidèle à leurs manières et à leur logorrhée verbale.

La famille Pichard aura tenu sa boutique du 88 rue Cambronne à peine deux ans de plus que ses anciens confrères : arrivés en 1991, ils n’étaient pourtant pas si pressés que cela de quitter les lieux. Les événements en auront décidé autrement, même si l’affaire était sur le marché de la vente depuis plusieurs années, après quelques transactions avortées. Suite aux accusations d’agressions sexuelles portées à leur encontre, les artisans ont fait le choix d’accélérer le processus de vente pour céder la boutique à « l’un des meilleurs artisans boulanger-pâtissier de sa génération »… autant dire que la pression reposant sur les épaules de ce (pas si)-mystérieux repreneur n’est pas faible. Je ne commenterai pas l’affaire et préfère simplement laisser la justice faire son travail, en espérant que toute la lumière soit faite sur cette sordide histoire.
Le défi sera de taille pour le nouvel arrivant, passant à la fois derrière une véritable institution du quartier (avec ses spécificités, dont son imposant four à bois, inutilisé depuis de nombreux mois) et devant s’en démarquer nettement pour se défaire du spectre de la rumeur, laquelle s’est naturellement répandue comme une trainée de poudre.

La Boulangeries des Enracinés, ‘pour une alimentation préventive et durable’… tout un programme.

Cela pourrait-il laisser de la place à des nouveaux venus, installés plus récemment dans le secteur ? Installée au 76 rue Mademoiselle, soit bien à l’écart du passage, la Boulangerie des Enracinés aurait une vraie carte à jouer de par son positionnement sur le sujet d’un pain sain et naturel… Malheureusement, malgré la sincérité apparente du projet et l’approvisionnement local en farines (auprès du meunier Gilles Matignon), il y a encore du chemin à parcourir sur la qualité de produit. Même constat du côté de la boulangerie Au Levain au 85 rue Lecourbe, où le soin porté au décor et à l’apparence des produits masque mal une approche légère du métier… autant dire que les meilleurs emplacements devraient continuer, malgré les changements, d’attirer l’essentiel du flux, même si le succès de la Maison Landemaine à un tel emplacement me paraît loin d’être évident.

  • Difficile d’estimer nettement le succès, ou non, de la P’tite Boulangerie Lecourbe. Sa visibilité est réduite, écrasée par le mur attenant et le renfoncement dans lequel est situé le magasin. Pas certain que la situation actuelle, où elle demeure la seule « boulangerie » artisanale ouverte lui permette de capter plus de clientèle.

On peut s’amuser du temps et des efforts que nous consacrons à bâtir des murs, clôtures et autres édifices destinés à protéger ce et ceux qui nous est cher, qu’il s’agisse de valeurs, d’objets ou d’individus. On peut s’en amuser parce que dans le même temps notre nature nous pousser à chercher les moyens de les détruire, ou plus discrètement de les contourner. Cela peut s’aborder de différentes façons, comme si le défi nous stimulait, ou que le sentiment de transgression avait une valeur particulière pour pimenter un quotidien parfois morose, parfois trop simple pour d’autres. Les raisons peuvent aussi être purement centrées sur l’argent, l’image et le pouvoir, qui demeurent les leviers les plus puissants pour inciter des individus à agir.

La McBaguette n’était que le premier coup porté par l’enseigne sur le terrain de la farine Label Rouge.

Pour continuer, et finir pour le moment, dans le série des labels de qualité, je voulais aujourd’hui traiter d’une information qui semblait bien banale en première lecture : l’enseigne de restauration rapide McDonald’s et son partenaire Bimbo QSR ont réaffirmé début avril leur volonté de passer l’ensemble de leur production de buns sous le pavillon du Label Rouge à partir du mois de juin 2021. Cela s’inscrit dans une stratégie engagée depuis plusieurs années, avec la réduction des additifs alimentaires et l’approvisionnement en matières premières au sein de filières tracées (comme pour les oeufs du Egg McMuffin, ou la farine de la McBaguette éphémère).

Cependant, il faut distinguer les différents types de certification et les cahiers des charges qui y sont associés : on peut ainsi obtenir le Label Rouge sur une matière première ou un produit transformé. Pour y parvenir, il faut non seulement suivre les préconisations spécifiques à chaque filière, mais également adhérer à l’Organisme de Gestion (ODG) reconnu par l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité), lequel se charge de rédiger et maintenir le cahier des charges, choisit l’organisme certificateur et de contrôle, etc… en bref, régit la vie de la démarche.
Sur le sujet qui nous intéresse, il existe cinq types de farines Label Rouge. Trois sont rattachées au PAQ (Produits Alimentaires de Qualité) : la Tradition T65, la Meule T80 et la Farine panifiable pour pain courant. Une autre se rapporte à la Farine de froment et réunit une coopérative, plusieurs meuniers, agriculteurs et boulangers dans une association nommée « Blé, farine et pain de qualité ».
Enfin, la dernière aurait sans doute été la plus intéressante pour nos amis adeptes des pains moelleux, lesquels nécessitent l’emploi d’une base riche en gluten : la farine de gruau T45 (donc une farine dite « de force ») appartenant à l’ODG Club le Boulanger, notamment connu pour sa baguette de Tradition Label Rouge Bagatelle. Seulement, hors de question pour cette tribu d’irréductibles gaulois (nous n’en sommes pas bien loin, en définitive, au delà du trait d’humour) de laisser entrer un acteur tel que McDonald’s dans la démarche.

Dès lors, puisqu’il était impossible de rentrer par la porte, la multinationale a du rentrer par la fenêtre. Quand bien même la hauteur de cette dernière pouvait paraître élevée, aucun obstacle n’est insurmontable, surtout si l’on bénéficie du soutien de quelques partenaires bien intentionnés… qui portent trois noms bien connus, à savoir Grands Moulins de Paris, Moulins Soufflet et Moulins Advens (ex-Grands Moulins de Strasbourg). A défaut de pouvoir produire une farine Label Rouge de type 45, ils ont trouvé la faille dans le référentiel de la Tradition T65 : pour rentrer rapidement dans les détails techniques, celui-ci impose un taux de protéines supérieur à 11,5% sur la farine obtenue… mais ne définit pas de maximum, tout comme elle n’exclut pas l’usage exclusif de blés de force au taux de protéines supérieur à 14%.

Au final, ce pool de trois meuniers va écraser un produit sur mesure avec 15% de protéines, sous l’appellation de Farine de Tradition française… alors même que nous en sommes bien loin, et que je vous laisse imaginer la durée de vie et l’élasticité d’une pâte de baguettes classique pétrie avec une telle matière première… pourtant, preuve que le ridicule ne tue pas, une charmante responsable des Relations Extérieures d’un grand groupe coopératif se vantait de l’aspect irréprochable de baguettes obtenues lors d’essais, sans préciser si elle avait pu faire un noeud avec au bout de deux heures. Les plus belles histoires restent parfois inachevées.

J’espère sincèrement que le Club le Boulanger, porteur de la démarche Bagatelle, et ses membres ont quelques idées pour l’avenir et pour l’évolution de leur fonctionnement ainsi que de leur communication… mais j’en doute un peu, au vu de l’absence totale d’évolution sur ces deux terrains au cours des dix dernières années. Malheureusement, les cimetières sont remplis de bonnes personnes et idées… et en la matière, le dogmatisme tue.

Bien sûr, tout cela pourrait paraître anecdotique, or c’est tout sauf le cas. Cette dérive nous met en face une vérité : ces référentiels de qualité sont faillibles, et les grands professionnels des référentiels que sont les industriels n’ont aucune difficulté à les utiliser à leur seul avantage, en les vidant allègrement de leur substance. Passé ce constat, il faut intégrer le fait que 20% de la production de farines Label Rouge sera à présent destinée à la fabrication des buns Bimbo QSR-McDonald’s… et que ce dernier ne se privera pas pour mettre en avant le logo associé dans sa communication. Dès lors, les meuniers et boulangers ayant basé leur stratégie de différenciation et de qualité sur ce label seront, aux yeux des consommateurs, placés au même niveau que ces produits industriels. J’avais déjà exprimé mes doutes lors de la sortie de la McBaguette, qui était un produit à impact limité. La charge est aujourd’hui bien plus violente, et emporte avec elle autant les farines que la « seule baguette de Tradition Label Rouge », les béotiens étant bien en peine de faire la différence entre les niveaux de certification.

Il est temps d’ouvrir le champ des possibles.

Nous, acteurs de la filière blé-farine-pain, avons la responsabilité de passer à autre chose, de nous saisir d’une page blanche et d’écrire des logiques empreintes d’éthique, de valeurs et de bon sens, avec une vision portée de la fourche au fournil… pour garantir un produit sain, aussi bien par les efforts engagés lors de la production de la matière première que de la transformation finale. Renonçons à ces fragiles étiquettes et bâtissons une boulangerie libre et vivante… sinon nous aurons de quoi voir rouge d’ici quelques années, sans qu’il soit question d’un quelconque label.

La mode et les tendances ont quelque chose de profondément exaspérant dans leur capacité à occulter nos fondamentaux, allant même jusqu’à les rendre complètement désuets aux yeux de générations entières. Pour autant, cela n’empêche pas de vivre en marge de ces cycles aux durées de vie toujours plus faibles. Mieux encore, la vie serait même plus agréable, grâce à une simplicité et des valeurs retrouvées. En définitive, ce superflu ne sert qu’à masquer l’absence de fond de toutes ces démarches autoproclamées innovantes, disruptives ou mêmes progressistes.

Pour trouver de vraies idées porteuses d’avenir, il faut parfois aller chercher en dehors de tous ces écrans de fumée, sur des terrains où seuls la qualité du produit et le savoir-faire de commerçant assurent la réussite ou l’échec d’une entreprise. Les marchés répondent assez bien à cette description, en tout cas bien plus que les structures rattachées à la même racine, avec le préfixe trompeur de super ou d’hyper. Ces derniers sont le lieu de rencontre privilégié entre clients et producteurs, avec parfois une absence totale d’intermédiaires. Ils ont toujours assumé ce rôle, bien avant le développement du concept de « circuits courts » et des nombreux dispositifs qui s’y rattachent.
De son côté, la boulangerie y est représentée, mais la qualité de l’offre proposée a bien peiné à se renouveler : on trouve encore trop d’artisans ayant construit leur offre autour de mélanges prêts à l’emploi, de farines et de matières premières de qualité discutable, en plus de gammes surabondantes et inadaptées à ce mode de vente.

Sur un marché, pas de superflu, ni d’éclairages élaborés : les produits doivent parler d’eux-mêmes, sans artifices.

A l’inverse, certains ont trouvé dans les marchés un véritable terreau fertile pour exprimer leur talent, à l’image des Champs du Destin en Côte d’Or, d’Yves le Signor en nord Bretagne, d’une Tartine de Bonheur en Loire-Atlantique, parmi des dizaines d’autres artisans à travers le territoire. Cela peut être aussi un tremplin pour tester ses produits avant de s’installer dans une boutique. Je pense particulièrement aux jeunes boulangers dont l’installation est de plus en plus difficile : ils pourraient alors débuter leur activité en utilisant des fournils sur leur plage de fermeture ou de plus faible activité, puis prendre leur envol.

En créant Brut de Pain, Mathys Chaillou, formé chez les Compagnons du Devoir et passé par plusieurs entreprises reconnues (l’Essentiel à Paris, la Minoterie Girardeau à Boussay…), souhaitait partager directement avec la clientèle sa passion pour le pain au levain naturel, en faisant ses propres choix, que ce soit en terme de méthodes de fabrication ou de matières premières. L’idée était d’exercer cette activité en complément de son emploi de démonstrateur au sein d’un important meunier francilien, en concentrant le travail lié à ce projet sur deux jours en fin de semaine. Il a été rejoint par Robin, partageant les mêmes valeurs et travaillant quant à lui pour une enseigne de micro-boulangeries.

Avant de pouvoir vendre leurs premiers pains au début de l’année, les deux associés ont du suivre les procédures leur permettant d’obtenir des emplacements sur les marchés, lesquels sont attribués à Paris par les gestionnaires de ces derniers en accord avec la Mairie. Ils finiront par arrêter leur choix sur deux sites : avenue de Saxe dans le 7è arrondissement, et le marché Zola à Suresnes. A Paris, Mathys et sa compagne Nicole assurent la vente, tandis que Robin est en charge du second point de présence. L’organisation de la production a été bien pensée en amont pour permettre d’enchaîner les cuissons, le transport puis la vente : l’essentiel du travail est réalisé le vendredi pour ne plus avoir qu’à cuire le matin, ce qui évite de débuter trop tôt.
Les produits développés par Brut de Pain ont tout de suite trouvé leur clientèle, même si la crise sanitaire a interrompu le fonctionnement de l’affaire du fait des fermetures imposées par l’administration. Les ventes ont repris à la fin du printemps, puis à la rentrée après une pause estivale.

Il faut dire que la gamme a tout pour séduire : les grosses pièces de pain, fabriquées à partir de farine Biologique des Moulins de Brasseuil et fermentées au levain naturel, attirent l’oeil, de même que les brioches en cadre, vendues à la boule. Les mies sont bien ouvertes et témoignent d’un soin particulier en terme d’hydratation et de suivi de la fermentation, laquelle confère aux produits des saveurs acidulées et fruitées. La base de meule se décline nature, aux graines, aux noix ou aux raisins et pointe de cannelle (une vraie gourmandise !). On retrouve également des pains moulés, à base de farine de seigle ou le Norvégien riche en graines, réalisé avec un mélange maison.

Au delà de la qualité des produits, Nicole, Mathys et Robin sont parvenus à créer une relation forte avec leurs clients, en partageant les valeurs qu’ils rattachent à la boulangerie artisanale ainsi qu’une véritable dimension de conseil. Cela se concrétise notamment avec des étiquettes très bien réalisées, reprenant la composition complète des produits et offrant des recommandations utiles pour chacun d’entre eux. L’ensemble correspond parfaitement au nom Brut, car on y trouve l’essentiel sans fioritures inutiles.

Le succès amorcé ces premiers mois a encouragé les associés à investir et à quitter leur lieu de production actuel, situé en Seine-Saint-Denis (93). Cette évolution permettra d’améliorer encore la qualité des produits par un confort de travail accru et l’utilisation d’un matériel sélectionné, aussi bien pour le froid que la cuisson. Autre évolution majeure, Mathys passera à temps plein sur cette activité, lui permettant ainsi de la développer et d’envisager une présence sur d’autres marchés, le samedi et le dimanche. A terme, la possibilité d’acquérir un moulin de petite taille (type moulin d’Alma) est envisagée, afin de travailler des céréales spécifiques achetées directement auprès d’agriculteurs. La communication sera également développée prochainement avec la mise en place d’un site internet.

C’est toujours un plaisir de voir de jeunes artisans passionnés et talentueux se lancer ainsi, sortir des conventions établies et s’exprimer librement dans ce métier. Plus encore demain qu’aujourd’hui, la boulangerie artisanale devra être et sera plurielle. Espérons qu’elle continue de nous donner envie de marcher… vers les marchés.

Après avoir tant cherché la modernité et le « progrès » qu’elle devait incarner, nous avons massivement pris un virage radical vers le retour à l’authentique et aux traditions. J’y vois personnellement un besoin de repères et d’éléments rassurants face à un monde toujours plus anxiogène, ainsi qu’un réel désenchantement vis à vis de toute cette technologie. Même si elle régit un grand nombre d’activités de notre quotidien, nous avons bien fini par comprendre qu’elle créait au moins autant de problèmes qu’elle en résolvait, à commencer par celui de détruire massivement le sens de nos existences. Rapports virtuels, impression de ne plus avoir aucune utilité ou prise sur les événements, complexification perpétuelle du quotidien, impossibilité à déconnecter totalement… la liste est longue. Pour y répondre, on a ressorti les recettes de grand-mère (avec le carnet qui va bien), voire les aïeules elles-mêmes pour les replacer sur le devant de la scène, multiplié les évocations du temps ancien et traîné un certain temps dans les brocantes et autres concentrations d’antiquités pour y chiner de doux souvenirs.

La devanture ne fait pas dans l’ostentatoire : il est simplement écrit « la maison ».

Le chic ultime pour les entrepreneurs est alors d’accoler au nom de leur établissement le mot « Maison », avec le caractère doux et rassurant que l’on associe au foyer. Seulement, en agissant ainsi, on contribue à vider l’appellation de tout son sens. Nous ne devrions jamais négliger le fait qu’une maison est un lieu où des individus vivent et évoluent, où il se passe quelque chose de plus riche et profond que la simple reproduction de recettes ou des échanges commerciaux. La création, le partage et le plaisir doivent être des piliers de la vie de ces maisons, or nous sommes bien loin du compte dans la plupart de celles qui se rattachent à présent à ce terme. Les artisans boulangers sont bien loin d’être épargnés, au contraire : ils ont massivement adopté une force de reproduction toxique, laquelle annihile toute forme de créativité et de renouvellement. Dès lors, le métier stagne, puis se meurt. Il n’y a pas d’autre issue.

Sous la halle des Machines de l’Ile

A côté de cet immobilisme, le monde bouge, toujours plus vite. Certaines villes ou quartiers concentrent ainsi une folle énergie, laquelle distille une émulation positive qui permet de faire pousser de jolies fleurs là où l’on connaissait du béton jusqu’alors. L’île de Nantes fait partie de ces zones : elle a connu au cours de ces 20 dernières années une transformation radicale, rompant avec son passé industriel. Si l’on connaît bien les fameuses Machines de l’île et leur emblématique éléphant, ce sont aussi des écoles et entreprises dynamiques qui s’y sont installées, en plus des structures de santé et des bâtiments résidentiels. Si j’avais eu l’occasion de vous parler de la boulangerie La Boule carrée, l’offre gourmande s’est enrichie il y a un peu moins d’un an (plus précisément le 27 août 2019) avec l’ouverture de La Maison.

Un véritable manifeste est affiché sur les murs du lieu : concilier gastronomie et écologie, avec une liste d’engagements concrets.

C’est la concrétisation du projet de Chin-Jy Cheng et Pierre-Antoine Arlot, associés ici comme à la vie. Après une première vie dans le conseil en communication et le recrutement, ils ont souhaité donner vie à un entreprise engagée à la fois dans la gastronomie et l’écologie. Pour y parvenir, Pierre-Antoine s’est formé au sein de l’Ecole Internationale de Boulangerie et a accumulé les expériences dans plusieurs fournils réputés, tels que ceux de Ten Belles Bread à Paris, Pain Paulin au Cap Ferret… Chin-Jy a, quant à elle, appris les techniques du métier de barista.
Leur projet était de créer un lieu de vie atypique, où pain au levain naturel côtoie café de spécialité, offre de restauration sourcée en circuit court et ateliers créatifs. Autant dire que le bouillonnement créatif de l’île de Nantes correspondait parfaitement à ce projet.

Une partie de cette fameuse grande tablée, réalisée à partir d’un minéral local.

Pour parvenir à leurs fins, les deux entrepreneurs sont partis d’une feuille blanche faite de béton brut : le local de 220m2 a été aménagé selon leurs envies, avec comme éléments clé le fournil ouvert sur l’espace de vente et de consommation, ainsi que l’imposante « grande tablée » de 16 mètres de long. Cette dernière s’inscrit comme un véritable trait d’union, à la fois physique et symbolique, entre les activités du lieu : à une extrémité on façonne les pains, puis on les vend et enfin, à l’autre bout, le café accompagnant les gourmandises est préparé. Son aspect à la fois brut et raffiné avait un coût, lequel a été financé grâce à une campagne participative.

Les vitrines présentent les gourmandises fabriquées ici. Le reste de l’offre est disposé au fond, en hauteur. Je regrette simplement, à titre personnel, que le pain finisse par être un peu perdu dans cet ensemble, et plus particulièrement les références présentées sous verre.

J’ai déjà eu l’occasion d’écrire ici ce que je pensais du développement de l’offre de restauration en boulangerie. Le postulat est ici assez différent car il s’inscrit dans une logique globale et cohérente, allant de la terre à la table. La Maison s’est positionnée depuis le début aux côtés des producteurs locaux, en travaillant avec des maraîchers engagés tels qu’Olivier Durand, et en participant à leurs réseaux de distribution. Le pain est ainsi disponible à la vente au sein de plusieurs « Ruches », de quelques épiceries locavores et dans des Biocoop environnantes. Plusieurs restaurateurs nantais réputés, tels que Omija, l’Aménité, Le Bouchon, Pickles, Vacarme, Café Bécot, … ont fait le choix de servir les miches fabriquées ici sur leurs tables. Cela place la boulangerie dans une communauté vertueuse et crée des liens de façon verticale entre les différents niveaux de transformation. Combien d’artisans ont aujourd’hui cette volonté, pourtant essentielle pour redonner du sens au métier ?

La salle, sobre et lumineuse.

C’est ce décalage avec les artisans traditionnels qui explique sans doute la composition de l’équipe présente ici : particulièrement multiculturelle, avec pour beaucoup des parcours tracés en dehors des sentiers battus. Cela se retrouve dans le goût des produits, le respect des matières premières et la créativité exprimée dans les vitrines. Chaque semaine une carte de gourmandises salées et sucrées est élaborée, avec pour fil conducteur les fruits et légumes de saison. Elle décline ainsi salades, tartines garnies, et autres propositions aux inspirations régionales ou internationales (pissaladière, smorebrød…).
Le pain suit la même logique de respect : fermentation longue et levain naturelle sont au programme, avec des farines issues de l’Agriculture Biologique (livrées pour une bonne partie par la Minoterie Suire, ainsi que plusieurs paysans-meuniers locaux pour des références spécifiques). On se régale ainsi du « pain des Anciens » (farine T80 et levain de seigle) et de son format généreux, de la double baguette au levain de petit épeautre ou encore d’une déclinaison de pains moulés, dont le surprenant pain des Marins sur base de seigle, à la mie dense et riche en noix, graines et raisins. Les levains sont bien maîtrisés, utilisés « jeunes » pour contenir le caractère acétique des produits finis.

La grande diversité des sacs de farine disposés dans le stock témoigne d’une grande curiosité.

Le plus surprenant est de voir ici une gamme de viennoiseries feuilletées : la plupart des disciples de l’EIDB font en effet le choix de se concentrer sur des pâtes briochées, à la fois pour des raisons économiques et de rationalisation de leurs gammes. On trouve ainsi un croissant au miel de fleurs, fermenté en partie au levain naturel (avec adjonction de levure), proposé à 1,8€. Le prix pourra en faire bondir plus d’un, mais il correspond au coût de la matière première (beurre de tourage biologique français d’Isigny, farine biologique…) et à une volonté de ne pas réaliser de gros volumes sur ce produit, qui reste à faible marge tout en demandant beaucoup de travail et de temps pour sa confection. Autre choix à base de pâte levée feuilletée : la babkatine, hybride entre pain au chocolat et la fameuse brioche marbrée. Les autres propositions sucrées sont au moins aussi alléchantes et sagement tarifées : cookies, cakes, excellent palet breton au sarrasin relevé d’un topping de fleur de sel, surprenante tarte noix-azuki ou encore kanelbulle, le choix ne manque pas.
Suspendu en raison de la situation sanitaire, le brunch du samedi devrait reprendre à la rentrée, accompagné du retour de créations plus pâtissières issues de l’imagination de Konatsu Maruyama, à l’image de la « Ville flottante », un gâteau signature intégrant rhum, amandes et crémet nantais.

Cette Maison redonne tout son sens à ce mot trop souvent galvaudé, et participe à sa façon à la transformation de son environnement proche, tout en respectant l’humain (comme en témoignent deux jours consécutifs de fermeture par semaine et un fournil baigné par la lumière naturelle) C’est une boulangerie moderne, à la fois respectueuse des traditions et de ses fondamentaux tout en ayant une vision d’avenir. Voilà qui correspond bien au mantra affiché par l’entreprise : Eat Simple, Eat Better, Always New, Never Now.

Le fournil

Infos pratiques

36 rue la Noue Bras de Fer – 44200 Nantes / tél : 02 28 21 28 07
ouvert du mardi au samedi de 8h à 19h30.

Suite à mon billet du 30/03/2020, la Fédération des Entreprises de Boulangerie (FEB) m’a fait parvenir, par le biais de son conseil, un droit de réponse. Vous le trouverez en intégralité ci-après.

REPONSE DE LA FEDERATION DES ENTREPRISES DE BOULANGERIE
A L’ARTICLE INTITULE « BOULANGERS EN TEMPS DE CRISE : STOP OU ENCORE ? » DU 30 MARS 2020 DU SITE PAINRISIEN.COM (https://painrisien.com/boulangers-en-temps-de-crise-stop-ou-encore/)

Le 30 mars dernier était publié sur le présent site un article intitulé « Boulangers en temps de crise : stop ou encore ? ». Aux termes de cet article, la Fédération des entreprises de boulangerie voyait sa dénomination et sa médiatisation être qualifiées d’escroquerie, ce sans la moindre mesure.

Conformément à ses droits, la Fédération a donc exercé son droit de réponse auprès du directeur de la publication du présent site.

Tout d’abord, et d’une part, il est essentiel de rappeler le profil des adhérents de la Fédération pour bien comprendre tout ce qu’il y avait de fallacieux dans les termes employés à son endroit.
S’il n’est pas nié qu’y adhèrent également des industriels et franchiseurs partageant, comme la Fédération et tous ses adhérents, la passion du pain, la majorité d’entre eux sont des indépendants ou des franchisés. Or, sauf à méconnaitre délibérément le secteur, force est d’admettre que les indépendants comme les franchisés ne sont que rarement d’énormes structures, mais bien davantage des petits commerçants, qui rencontrent également des difficultés en ces temps de crise et n’ont pas moins droit que les autres à la protection de leurs intérêts. Au demeurant, et n’en déplaise à ses détracteurs, un grand nombre d’artisans boulangers sont également adhérents de la Fédération.

Elle est fière de porter les intérêts de cette diversité de professionnels et d’entreprises de boulangerie et n’a donc ni à rougir ni à s’excuser de sa dénomination. Pour rappel notre fédération a été fondée en 1939, ce qui prouve que l’action qu’elle mène trouve un écho de plus en plus important au sein du secteur.

Quelle est l’unique différence aujourd’hui entre un artisan et un industriel ? La taille des pétrins.

Les matières premières (farine, beurre, levure, eau) sont strictement les mêmes.

D’autre part, puisqu’il est question de l’ouverture de la vente de pain sept jours sur sept et du sondage qu’avait commandé la Fédération, il doit être souligné à quel point cette possibilité, plébiscitée par les Français, n’est pas contraire aux intérêts de la boulangerie, en ce compris ses artisans.

S’agissant de la période de crise sanitaire actuelle, il est indiscutable que la décision de suspendre les mesures de fermeture hebdomadaire de la vente de pain s’imposait. En effet, comme le mentionne à juste titre l’article auquel il est répondu, les commerçants et artisans rencontrent des difficultés pour ouvrir en assurant le respect des gestes barrières et donc la sécurité et la santé de leurs employés, de leurs clients et les leurs. Beaucoup sont d’ailleurs fermés. C’était malheureusement, dès le début de la crise, ce qui était à prévoir.

D’ailleurs il est intéressant de noter que la préfecture des Yvelines vient ce jour (10 avril 2020) d’accorder une nouvelle dérogation pour permettre à l’ensemble des vendeurs de pain d’ouvrir quand ils le souhaitent.

Dans ces conditions, l’argument habituel en faveur de ces mesures de fermeture, à savoir celui de permettre prétendument une concurrence loyale entre tous les établissements exerçant l’activité de vente de pain, n’avait plus sens. L’urgence n’était plus à la gestion de la concurrence, dans un secteur qui allait de toute façon majoritairement connaître de multiples difficultés pour poursuivre ses activités et donc subir des distorsions du fonctionnement habituel de son économie, mais bien àl’approvisionnement de la population.

Or, il apparaissait particulièrement important, pour assurer l’approvisionnement d’une denrée de première nécessité aussi commune et traditionnelle que le pain, de permettre à ceux qui le pouvaient encore de rester ouverts, autant que faire se peut, d’autant qu’une ouverture 7/7 permettait de fluidifier le flux de chalands et donc de favoriser le respect des mesures sanitaires mises en œuvre.

La moyenne et grande distribution ne pouvaient assurer seuls ces approvisionnements. Elles le pouvaient encore moins que, bien souvent, les arrêtés de fermeture hebdomadaire s’imposent également à la simple fabrication de pain, et non seulement à la vente. Elle aurait donc pu être empêchée, y compris ses jours de vente autorisée, de se fournir auprès de ses partenaires industriels, interdit de fabriquer, donc de répondre à la demande des Français, phénomène qui aurait été amplifié par les difficultés logistiques de transport.

En conséquence, compte tenu de la situation sanitaire, la suspension de la fermeture hebdomadaire a permis, à tout le moins amélioré significativement, la poursuite de l’approvisionnement des Français en pain, tout en limitant les effets de la crise sur ceux qui pouvaient encore s’adapter et permettre de répondre à une demande légitime pour ce produit, qui réunit et fédère.

Elle a également permis à la boulangerie, tous acteurs confondus, de participer, à sa manière, à la gestion de la crise et à l’épreuve collective que nous subissons.

La Fédération n’a ni à rougir ni à s’excuser d’avoir œuvré en ce sens pour les intérêts de la boulangerie.

S’agissant, pour finir, de la fermeture hebdomadaire, hors période de crise sanitaire, elle n’est pas davantage utile à la boulangerie. Outre que les modes de consommation ont largement évolué, ce qui ne peut être nié, et la circonstance que certains artisans sollicitent aussi l’arrêt de cette fermeture, l’argument habituel susmentionné relatif à la concurrence est inopérant. Le risque prétendu pour les artisans est celui d’une perte de chiffre d’affaires, qui les obligeraient, eux aussi, à ouvrir tous les jours de la semaine, ce qui nuirait à leur vie familiale et diminuerait l’intérêt des jeunes pour la profession, ou à subir une baisse de la valeur de leurs fonds de commerce, dont le prix de cession permet une retraite méritée.

Le propos de la Fédération n’est évidemment pas de dire que cette inquiétude est illégitime, mais plutôt qu’elle est infondée.

Et pour cause, rien ne permet de prétendre qu’un commerce de vente de pain qui déciderait de fermer un jour par semaine dans un environnement autorisant une ouverture ininterrompue subirait effectivement une perte de chiffres, ce d’autant moins dans un univers concurrentiel qui est géographiquement très limité et qui dépend beaucoup de la qualité. Par ailleurs, dans l’immense majorité des cas, la fermeture hebdomadaire ne concerne que la vente de pain et n’impose donc pas la fermeture de tout l’établissement de sorte qu’il existe toujours une concurrence sur le reste des produits, ceux à plus forte valeur ajoutée. Au surplus, la fermeture hebdomadaire n’est pas applicable à la vente de pain par des distributeurs automatiques de sorte que de plus en plus de commerçants, et des artisans, ont désormais installé une telle machine devant leur boutique afin que les clients puissent s’y approvisionner le jour de non vente de pain. La concurrence n’est donc pas arrêtée non plus sur le produit du pain par la fermeture hebdomadaire. Dans ces circonstances, le risque d’une atteinte significative au chiffre d’affaires est inexistant.

Pour finir de s’en convaincre, il suffit de constater qu’il n’existe aucun chiffre en ce sens pour les départements dans lesquels il n’y a pas ou plus d’arrêtés préfectoraux imposant la fermeture hebdomadaire.
Or, en l’absence de risque de perte de chiffres et donc de distorsion de concurrence, on ne voit pas ce qui justifierait d’interdire aux établissements qui le souhaitent d’ouvrir sept jours sur sept alors que la loi les y autorise par principe.

Enfin, au-delà de la problématique économique, la Fédération, attachée à l’Etat de droit, qui impose le respect par l’Administration des lois votées par le Parlement, ne peut accepter les conditions dans lesquelles les arrêtés de fermeture hebdomadaire ont été et sont encore édictés. La loi qui les autorise est claire, et la Justice administrative également. Pour être valables, ces arrêtés doivent recueillir l’assentiment de la majorité indiscutable de tous les établissements exerçant la vente de pain dans un département.

Le Conseil Constitutionnel a estimé, lui aussi, que cette loi, bien qu’étant une atteinte à la liberté d’entreprendre en autorisant ces arrêtés, était néanmoins proportionnée, donc constitutionnelle, compte tenu, précisément, du fait que cette atteinte devait être fondée sur la volonté de la majorité indiscutable des établissements qui allaient la subir.

Pourtant, force est de constater que les préfets, qui sont les autorités compétentes sur ce sujet, sont presque tous dans l’incapacité de produire les éléments qui ont fondé leur appréciation de l’existence d’une majorité en faveur de la fermeture hebdomadaire. Et lorsqu’ils le font, les éléments fournis sont peu probants et font, en réalité, sérieusement douter non seulement de l’existence d’une majorité, mais aussi d’une recherche effective de son existence par les services du préfet. Or, dans un Etat de droit, aucun citoyen ne peut se satisfaire de la contrainte exercée sur une liberté par des actes de l’Administration dont elle est incapable de justifier la légalité.

La Fédération n’a, là encore, ni à rougir ni à s’excuser d’œuvrer pour la protection des droits et des libertés des entreprises de boulangerie face à des atteintes inutiles et illégales.