J’ai tendance à me tenir éloigner des concerts d’éloges. Sans doute cette musique est un peu trop monotone à mes oreilles, à moins que ce ne soit un mécanisme de défense : plus on me dit « tu devrais », moins j’ai tendance à faire. En définitive, il y a une belle liste de choses que je devrais aller faire ou voir, sans que l’on puisse vraiment espérer connaître une issue favorable un jour. Verre à moitié plein ou à moitié vide, on peut voir la chose de deux façons : soit je me prive de formidables découvertes, soit il me reste de grandes possibilités d’étonnement et d’apprentissage. On fera les comptes à l’arrivée.

La devanture est discrète.

La devanture est discrète.

J’avais entendu tellement de choses au sujet d’Alex Croquet que j’avais donc adopté cette fameuse posture de retrait. Parfois, à force de tenir en place, on s’effondre. J’ai donc été découvrir la capitale des Flandres -je vous en reparlerai plus largement prochainement- et le plus fameux de ses boulangers.
L’artisan annonce la couleur : il est « fou de pain ». Je n’ai rien contre les fous, au contraire, je pense que la folie peut être créatrice, et puis Michel Audiard n’avait-il pas dit « Bienheureux les fêlés car ils laisseront passer la lumière » ?

En boutique, Alex Croquet, Lille (59)

En arrivant devant cette petite boutique de la rue Esquermoise, en plein coeur du vieux Lille, je dois dire que j’ai peiné à voir cette fameuse lumière passer. Il ne s’agit pas d’une boulangerie, puisque les produits sont fabriqués à Wattignies, en proche banlieue, avant d’être livrés ici. Le lieu est très moderne, sans grande identité. Je ne sais pas si c’est le parti-pris d’Alex Croquet mais cela ne correspond pas tout à fait à l’univers qu’il met en avant, porté par les traditions et le savoir-faire boulanger. Qu’importe, ce n’est pas l’essentiel. Les produits sont plutôt bien mis en valeur, le service agréable et efficace.

Tourte de Seigle aux raisins

Tourte de Seigle aux raisins

Avant même de déguster les produits, j’ai été frappé par leur caractère terne, par le manque de vie qu’ils exprimaient. Pourtant, tout a été fait pour me rappeler combien la maison s’engageait afin d’aboutir à un produit d’exception : de la sélection rigoureuse des farines (Label Rouge ou Biologique) au travail sur levain naturel – les pains Bio sont « pur levain », c’est à dire sans levure ajoutée – en passant par un façonnage manuel, les critères sont réunis. J’en oublierais presque de parler de l’eau, à laquelle l’artisan accorde tant d’importance : cette dernière est purifiée et « dynamisée », grâce à un système de cascade artificielle, pour lui « redonner de la vie ». Après avoir lu et entendu tout cela, je me disais que l’aspect n’importait pas, et que j’allais vivre une expérience sensorielle inoubliable.

Sans commentaire.

Sans commentaire. A noter l’avertissement de la vendeuse « vous avez un bon couteau à pain ? »…

Le soucis quand on saute sans parachute, c’est qu’il y a un sol pour nous ramener à la réalité et nous prouver combien l’atterrissage peut être douloureux. Ce fut précisément le cas ici. Sur l’ensemble des pains, j’ai retrouvé des mies très denses et des croûtes épaisses, ce qui a eu pour effet direct de rendre la dégustation assez peu plaisante. Le phénomène est particulièrement marqué sur la baguette Lilloise, qu’il est assez peu envisageable de rompre simplement… mieux vaut la trancher fin.
L’autre point gênant pour moi était le manque d’hydratation des pâtes : même du jour, les pains étaient secs, avec un sérieux manque de souplesse. Si encore le goût avait fait oublier ces points de texture, l’affaire aurait été vite oubliée. Seulement voilà, là encore, rien d’exceptionnel : que ce soit sur la tourte de Seigle ou d’autres pains comme le Zebulon, l’acidité du levain relève légèrement l’ensemble mais cela reste plat.

Pain Zebulon

Pain Zebulon

La viennoiserie exprime un bon goût de beurre sans que le feuilletage soit particulièrement développé : c’est correct, sans plus. En définitive, ce sont sans doute les brioches qui s’en sortent le mieux, avec notamment une surprenante création, l’Ensaimada. Son façonnage en escargot cache une mie comme feuilletée à la crème d’amandes, pour un résultat très fondant et savoureux.
La pâtisserie reste simple et boulangère (on y retrouve des babas, flans, tropéziennes, …), ce qui est appréciable, tout comme l’absence d’offre traiteur : l’artisan s’est concentré sur son métier de base et c’est un choix que plus d’acteurs du secteur devraient adopter.

Brioche Ensaimada

Brioche Ensaimada

Suis-je passé à côté du travail de cet artisan ? Peut-être. Je ne remets pas en question son honnêteté et l’amour qu’il porte à son métier. La largeur de sa gamme en témoigne : il cherche à partager avec sa clientèle un véritable univers autour du pain. Je suis juste un peu perplexe. Quand on annonce ne pas mettre en vente des produits ne donnant pas entière satisfaction, il faut aller jusqu’au bout… à moins que ce que j’ai pu déguster ne soit que la norme. Peut-être faudrait-il en faire moins, dans ce cas. Les gammes courtes sont plus faciles à maîtriser.
Autre point sur lequel je souhaitais revenir : aimer le levain, en parler pour développer son usage, c’est bien. Seulement, il ne faut pas trop en faire. Cela ne reste jamais qu’un agent de fermentation qui aboutit à… de la nourriture, car le pain demeure avant tout un aliment. Sachons garder une certaine mesure.

Infos pratiques

66, rue Esquermoise – 59000 Lille
ouvert du lundi au samedi de 8h à 19h30
56 rue Faidherbe – 59139 Wattignies / tél : 03 20 95 01 29
ouvert du lundi au samedi de 7h à 13h et de 15h à 19h

8 réflexions au sujet de « Alex Croquet, Lille & Wattignies (59), suffit-il d’être fou de pain pour en faire du bon ? »

  1. Etrange cette différence entre un discours et la réalité. J ‘ai moi même pensé être un cas isolé et avoir à faire à un mauvais jour, sans doute influencé par la réputation et la communication du maître des lieu.
    Pourtant j’ai eu une expérience similaire cette année, les mies étaient sèches et croûtes archie épaisses sur les grosses pièces, presque immangeables, viennoiseries sèches elles aussi, seules les pâtisseries et les spécialités briochées s’en sont bien sorties..
    C’ est bien dommage de saborder une telle passion et un tel perfectionnisme.

  2. la critique est facile l art est difficile… L engrain certes très dense mérite le détour.Je suis convaincu que ce boulanger gagne a être connu. Il n est pas le seul car pour metrre tout le monde d accord l important est de varier les plaisirs.

  3. Bonjour

    Je vous invite à passer chez Olivier Vandromme lors de votre prochain passage à Lille.
    Ancien de chez Croquet, il a dépassé son professeur ! Meilleur boulanger de la région et de loin avec des prix sages et des farines bio.
    Pour Croquet, pour être un client régulier depuis un an et mon retour à Lille après 10 ans à Paris, je comprends votre point de vue même si certain pain comme le pain de meule méritent votre détour mais peut être pas depuis Paris.

    • Tout à fait d’accord avec vous ,une bonne commerçante se doit d’être agréable avec TOUS les clients ,même avec ceux qui ne viennent que ponctuellement .C’est pour cette raison que j’ai cessé d’y aller ,pourtant je suis habitante de Wattignies

  4. Je suis client quotidien chez Croquet, depuis plus 12 ans, depuis son extension à Lille, c’est devenu une petite usine. Des pains changent de texture selon peut être l’humeur de l’employé. Le personnel change beaucoup et la convivialité n’est plus mise, dommage.
    Je suis toujours client, mais pour combien de temps,,,il y a de la bonne concurrence dans le secteur

  5. Bonjour, déjà je trouve cette article très bien écrit et je remercie l’auteur, je parle de mon expérience professionnelle dans le secteur mais il est possible aussi que certaines production/préparation sont et ont dû être réalisé par des apprentis. Je ne fais pas l’avocat du diable mais on ne sait que rarement ce qui ce trame dans l’arrière boutique ; -four en panne, changement de matériels, la boulangerie reste un métier dur et il peut avoir des haut et des bas même dans de grandes boulangerie.

    Après je ne suis que client occasionnel quand je vais dans le nord voir la famille et je ne connais pas l’historique des boutiques Croquet

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