Certaines histoires s’écrivent en famille, mais aussi dans un terroir, un lieu bien particulier où c’est toute une communauté qui se développe autour de l’entreprise familiale. Difficile pour les enfants d’échapper à cette tradition, mais ce n’est pas forcément un mal, car cela permet de conserver l’esprit propre à la maison, et ainsi d’éviter des changements qui pourraient avoir des conséquences plus ou moins regrettables à long terme.

David Bourgeois dirige le moulin familial, conjointement avec son frère Julien.

Rien de tout cela à Verdelot, puisque le moulin est resté dans la famille Bourgeois depuis les années 1920, époque à laquelle ces meuniers se sont installés dans la région. Le moulin, ou plutôt les, puisque l’histoire a commencé à quelques kilomètres de là, plus précisément à Couargis.

Enseigne du moulin de Couargis

Impossible de passer dans le secteur sans s’arrêter dans ce moulin à eau entièrement rénové dans les années 2000. Son activité a été arrêtée peu après l’acquisition du moulin actuel, ce qui explique sa « conservation » : en effet, les équipements de l’époque avaient été laissés en l’état, ce qui n’est pas le cas pour nombre d’autres bâtiments du même genre exploités plus longtemps. Anecdote amusante, la marque des outils de mouture sur cylindre est la même que celle utilisée à Verdelot : en effet, Bühler reste aujourd’hui un des fabricants incontournables en meunerie.

A l’époque du moulin de Couargis, on réalisait déjà de la mouture sur cylindre. La technologie employée actuellement n’a donc que peu évolué, ni même le constructeur : si l’on regarde attentivement, on lit bien Bühler sur les machines.

Le même nom, mais une capacité d’écrasement bien différente. David et Julien Bourgeois ont mis en production en fin d’année dernière leur moulin flambant neuf, avec des machines permettant de moudre deux fois plus de grain que le précédent. Le précédent ? Oui, le 27 juin 2010, un incendie ravageait le bâtiment, emportant avec lui l’outil de production familial. Même si les silos à grain et à farine ont été préservés, la période transitoire n’a pas manqué d’être difficile : il fallait rassurer les clients et leur assurer le même niveau de qualité. Un challenge relevé par les deux frères, qui ont réussi à maintenir leur entreprise à flots malgré la concurrence dans le secteur.
On pourrait se demander l’intérêt d’avoir investi dans une capacité plus importante : ce nouvel outil permet une « tension » moindre sur la production, et ainsi de ne pas tourner à plein, voire seulement une partie de la semaine.

Dans le moulin de la famille Bourgeois, l’ensemble du processus est automatisé. Les opérateurs peuvent contrôler le bon fonctionnement grâce à un système informatique.

En plus des farines « traditionnelles », les Moulins Bourgeois disposent également d’une gamme de produits biologiques ou réalisés à partir de mouture sur Meule. Historiquement, la région de la Ferté sous Jouarre était réputée pour la qualité de sa pierre meulière et ce n’est sans doute pas étranger au développement de cette activité ici. Malgré tout, la farine « blanche » et type 65, utilisées pour la confection des baguettes (tradition & pain courant) représentent 90% des commandes de la clientèle.

Dans ce moulin à cylindres « miniature » sont réalisées les farines type 65 biologique. Au premier plan, ce sont les farines de meule type 80 et plus spécifiques qui sont traitées.

Chez les Bourgeois, on défend une certaine vision de la meunerie, justement proche de ses clients. Pas d’industriels, mais uniquement des artisans boulangers. Depuis 2004 et leur départ du groupement Banette, les frères ont mis en place leur identité, leurs inévitables prémixes (baguettes céréales, aux ingrédients) entièrement réalisés « maison », ainsi que des dispositifs de communication (PLV, sachets, …), tout en gardant à l’esprit qu’il fallait valoriser l’artisan et pas le meunier : c’est ainsi que la marque « Artisan Boulanger » est apparue. Cela dénote d’une volonté de se placer en partenaire, et non pas  en entreprise écrasante comme c’est trop souvent le cas dans le secteur.

Vous connaissez sans doute cet écriteau, puisque beaucoup de boulangers l’ont choisi pour orner leur devanture. Ici, ce sont les prénoms des deux frères qui accompagnent la marque « artisan boulanger », exprimant la volonté des Bourgeois de valoriser avant tout le boulanger, sans chercher à « l’écraser » sous une politique de réseau.

Plusieurs éléments vont d’ailleurs dans ce sens : l’ensemble des livraisons sont assurées par l’entreprise, ce qui représente près de la moitié de ses 80 collaborateurs. Un savoir-faire et une indépendance que David Bourgeois n’entendrait pas perdre, car il lui permet plus de flexibilité et de mieux percevoir les retours des boulangers auprès des livreurs. Dans une activité où le marché a tendance à stagner voire à se réduire (la grande distribution prenant toujours plus de place dans les achats de pain chez les consommateurs), chaque détail compte et il faut en faire beaucoup pour espérer garder sa clientèle. Le « point d’équilibre » numérique n’est d’ailleurs atteint que si le meunier recrute chaque année environ 50 nouveaux clients, un chiffre qui n’est pas anodin.

Dans le cadre du contrôle permanent de la qualité des blés, les Moulins Bourgeois disposent d’un moulin d’essai miniature, qui leur permet de réaliser des essais sur des échantillons.

Bien sûr, le plus important reste la qualité et la régularité. Pour l’assurer, des blés issus d’un périmètre de 150km autour du moulin sont écrasés ici, avec des équilibrages différents en fonction des années. Compte tenu des volumes à fournir, il serait difficile d’envisager de développer un « pain de terroir », ce qui aurait pour conséquence d’éventuelles variations selon les années et la qualité des récoltes. Au travers de plus de 450 essais de panification sur les lots de blé et des contrôles à réception, le moulin de Verdelot assure un produit régulier et fiable, sur lequel les artisans boulangers peuvent compter. Les différents labels auxquels adhère l’entreprise participent à ces garanties : ainsi, la baguette de tradition française Reine des Blés est certifiée Label Rouge, et une gamme complète de farines biologiques (répondant au cahier des charges Saveurs Paris Ile-de-France) est proposée.

Dans ce laboratoire de formation, les boulangers peuvent suivre des modules de perfectionnement, pour le pain mais également pour de la tarterie ou du snacking.

Cette démarche de partenaire se prolonge par des formations proposées aux boulangers et à leur personnel : autant en vente qu’en production, les Moulins Bourgeois peuvent apporter leur savoir-faire afin de tirer le meilleur de leurs matières premières. Un accompagnement souvent nécessaire dans le cadre de reconversions professionnelles.

Une boutique de formation a été aménagée afin de transmettre des techniques permettant de mieux mettre en valeur les produits fabriqués au fournil.

En définitive, vous l’aurez bien compris, à Verdelot, les Bourgeois produisent une farine pour le peuple, avec tout le caractère noble que cela peut avoir !

Le moulin est situé dans le périmètre de l’église de Verdelot, qui est classée aux Monuments Historiques. Cela a impliqué certaines contraintes lors de la construction du nouveau moulin, notamment en terme d’inscription dans le paysage. Ainsi, l’architecte a tenté de donner au bâtiment les couleurs d’un tronc de bouleau pour le « fondre » dans cet ensemble. Une tâche difficile, dont le résultat ne semble pas faire l’unanimité.

5 réflexions au sujet de « A Verdelot, les Bourgeois produisent une farine… pour le peuple »

  1. Bonjour et merci à vous de nous faire partager votre passion.J’ai toujours plaisir à vous lire, continuez à nous faire partager vos rencontres. Bienvenue à vous si vous passez par le Québec !

    Marc Simonet
    Enseignant en boulangerie.(CFP Jacques Rousseau)
    Vice-président de l’ABAQ ( Association des Boulangers Artisans du Québec)
    http://www.ABAQC.COM

  2. très intéressant! Ma fille a « émigré » à Verdelot et je vais lui transmettre cette info sur une activité remarquable de son village car, si elle n’ignore évidemment pas l’existence des Moulins Bourgeois, elle n’en perçoit certes pas tous les paramètres. Eric ( Belgique )

  3. j aimerais savoir d’où viennent les farines bio, qui les produit?en fait par quels critères de sélections , ça m’intéresse.
    en tous cas , bravo en espérant que de + en+ de boulangers s’y mettent et innovent comme la boulangerie Marlau où nous prenons notre pain
    merci pour la communication de votre passion
    cordialement
    j l Breteau

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